– Arnaud Desplechin ; 2017 –

Film d’ouverture de la 70ème édition du Festival de Cannes, Les Fantômes d’Ismael d’Arnaud Desplechin est des plus … déconcertants. Celui-ci met en scène une romance à trois entre un homme, sa nouvelle compagne et sa femme disparue vingt-et-un ans auparavant, sans avoir donné aucune explication. Réalisateur, Ismael retrace également le destin hors-du-commun de son frère Yvan Dedalus, diplomate aux Affaires Etrangères, sujet principal de son prochain film.

Les Fantômes d’Ismael peut être découpé en deux parties distinctes que sont celles du triangle amoureux et de son éclatement. Une première période assez classique, cantonnée à une même unité de lieu qu’est la maison d’Ismael en bord de mer, permet d’éclairer la relation complexe liant chacun des trois protagonistes. Ce qui frappe d’emblée, c’est la douceur de Charlotte Gainsbourg incarnant une femme quasi-sainte qui porte sur ses épaules les malheurs de son entourage, personnage dévoué et plein d’un amour généreux. Un rôle de sauveuse qu’interprète irréprochablement Gainsbourg, clef de voute du film. Autour d’elle se déploient les regrets et les questionnements de Carlotta et Ismael, amants qui se retrouvent confrontés l’un à l’autre après des décennies d’absence. Excentriques, les deux personnages s’avèrent également égoïstes, l’une en voulant récupérer coûte que coûte son mari pour ne pas vieillir seule, l’autre en demandant à Sylvia de « se battre » pour lui tout en ne sachant pas vers qui son cœur balance réellement. L’enfermement des trois personnages dans cette maison en bord de mer vient enrichir l’œuvre d’une tension malsaine et grandissante, posant un ultimatum implicite à cette cohabitation : laquelle des deux femmes arrivera à posséder l’amour d’Ismael ?

Le Pacte

Ponctuée de brefs passages oniriques – Carlotta se remémorant son passé en Inde – et de mise-en-abîmes liées au film d’Ismael, cette première partie reste cohérente et livre une puissante décharge émotionnelle. Réutilisant des thèmes clés de sa filmographie, Arnaud Desplechin manie avec brio l’amour, le passé, l’égoïsme mis à jour dans des dialogues sans concession. Il est regrettable que la deuxième partie ne soit pas du même niveau et plombe le récit, alourdi par une complexité à la limite du compréhensible, induite par la multiplication de ses strates narratives. Pour cause, la mise-en-abîme induite par le film imaginé par Ismael ajoute un second degré de compréhension à l’œuvre, à laquelle se greffent les destins des trois personnages principaux. Une accumulation de points de vue qui alourdit le récit, à l’image des séquences de Roubaix, symbole de la perte de repères d’Ismael. Une période bien brouillon, sauvée fort heureusement par les scènes partagées entre Mathieu Amalric et Hippolyte Girardot donnant lieu à des dialogues absurdes et très bien joués qui enrichissent l’œuvre d’une légèreté délicieuse. Un Mathieu Amalric qui jongle tout au long du film entre un registre désespéré et un humour absurde dans lequel il excelle. Une ambivalence représentative des Fantômes d’Ismael qui se voit amoindri par sa complexité et son accumulation de registres et de strates narratives. De ce point de vue la mise-en-abîme, bien que portée par un Louis Garrel très appliqué et touchant, est le gros point faible du film.

Le Pacte

C’est dans l’exploration de ses personnages qu’Arnaud Desplechin se montre le plus convaincant, comme lorsqu’il approfondit le personnage de Carlotta (Marion Cotillard), donnant un sens à sa disparition. Partie pour vivre et s’extirper d’une existence étouffante, cette femme revient après vingt-et-un ans d’absence, poussée vers les siens par sa peur de la solitude. Au départ détestable en raison de son égoïsme et du chaos qu’elle amène dans la vie d’Ismael et dans son couple, cette femme se révèle peu à peu dans toute sa fragilité. Une scène marquera les esprits qu’est celle unissant enfin l’héroïne et son père dans laquelle le procédé des gros plans exploité tout au long du film prend toute sa puissance. Très simplement, grâce à des répliques sans détour, une véritable transmission s’établit entre les protagonistes et le public, touché tant par la sagesse que par l’amour irradiant de cette séquence. Une scène parmi d’autres qui prouve la capacité du cinéaste à capter l’essentiel : un échange de mots voire de simples regards, l’expression de l’amour, du désir ou encore de la complétude, à l’image d’une scène finale où Charlotte Gainsbourg nous secoue, littéralement. « Encore », on en aurait voulu « encore ».

Camille Muller

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