– Sergeï Loznitsa ; 2017 –

Dans un village perdu de Russie, une jeune femme réceptionne un colis adressé à son mari incarcéré. Elle décide d’aller remettre ce paquet à son destinataire et s’en va pour la ville voisine, bourgade-prison rongée par la corruption et une violence latente.

Une femme douce nous plonge dans le morne quotidien de la Russie contemporaine, explorant le mode de vie austère de sa protagoniste. Habitante d’un petit village isolé, cette femme se prépare à vivre un événement : celui d’aller à la ville, univers encore méconnu et voyage envié de ses voisins. Des citoyens modestes dont on écoute les multiples conversations, anecdotes et bribes de dialogues venant s’égrener au long de ces deux-heures vingt de film et qui composent un vaste tableau du peuple russe et de ses préoccupations. Ce procédé du patchwork est utilisé aussi bien pour dépeindre la vie du village que celui de la ville que découvre l’héroïne, environnement jusqu’alors inconnu sur lequel porte un regard dur cette « femme douce ». Une protagoniste interprétée par l’insondable Vasilina Makovtseva dont on retiendra l’impassibilité, elle dont le visage toujours fermé arrive cependant à porter l’intrigue, tout du long. Des yeux aussi, droits et vifs, qui retranscrivent la vision du réalisateur sur la Russie, vision désabusée mais non dépourvue de tendresse pour la multitude de personnages qui se livre devant elle. Des protagonistes baignés dans une lumière tantôt chatoyante et naturelle, tantôt froide et impersonnelle, représentant toute la dureté de cette ville de Russie. Une âpreté qui se traduit dans le grain même de l’image, rugueux comme l’est le mode de vie dépeint dans Une femme douce.

Haut et Court

Le dernier long-métrage de Sergeï Loznitsa est basé sur un système narratif fait d’imbrications, confrontant son héroïne à un grand nombre de rencontres. Autant de situations qui nous laissent voir toute la corruption qui gangrène la société russe, laissant ses citoyens dans l’incompréhension. L’organisation du pays semble suivre le même cheminement que la quête de la protagoniste, placée sous le règne du hasard et de l’absurde. Une femme qui semble s’empêtrer de plus en plus profondément dans un labyrinthe d’intérêts contraires, piégée peu à peu dans cette ville-prison. Constamment rejetée puis repêchée, il apparaît que l’héroïne ne puisse plus sortir de son inextricable condition, enfermée malgré elle dans cet univers hermétique et rongé par le vice. Les personnages que met en scène le réalisateur – prostituées, mac, policiers, veuves et pauvres – viennent mettre en lumière les dérives du communisme, qu’il s’agisse de sa propension à la surveillance, l’appauvrissement de son peuple ou encore la violence latente le régissant. Une critique acerbe de la situation passée et contemporaine de la Russie que le metteur en scène contemple avec un regard plein d’ironie, lui qui dévoile le caractère malsain et pervers des diverses autorités du pays.

Haut et Court

C’est avec lourdeur que Sergeï Loznitsa appuie ces idées distillées tout au long du film, dans une deuxième partie qui fait sombrer l’œuvre dans le fantastique et le burlesque. Notre femme douce est ainsi conduite dans un univers onirique, confrontée à toute l’hypocrisie dont font preuve les représentants du communisme. Cette satire prend des airs de conte et explicite ce que l’on avait déjà compris de manière implicite : la violence de cette idéologie, son culte du chef, son enfermement. Autant de rappels qui font de cette séquence un épisode à la fois éclairant et assommant, écrasant le spectateur de son interminable longueur. Tout comme son héroïne, nous nous retrouvons piégés dans l’œuvre, immobilisés par tant de plans fixes, conduits comme cette femme à vivre sans cesse des situations dont on ne voit pas la fin, emportés comme elle dans un long supplice. Jusqu’au générique salvateur.

Camille Muller

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