-Albert Dupontel ; 2017-

Alors qu’il vient de sauver la vie d’Albert sur un champ de bataille, Édouard est dévisagé par un éclat d’obus. En froid avec son père et humilié par sa condition, le jeune homme décidera de monter une arnaque au côté d’Albert pour tirer profit de cette guerre qui lui a ôté la vie.

Un chien-messager lancé en pleine course dans le terrain miné des tranchées. Telles sont les premières images d’Au revoir là-haut, filmées de manière virtuose en traveling vertical dans ce qui semble être une introduction entièrement en plan-séquence. Magie du montage comme nous l’apprendra plus tard Albert Dupontel, metteur en scène de cette adaptation et homonyme de son narrateur tiré du roman de Pierre Lemaître. Une œuvre consacrée à la Première guerre mondiale et ses conséquences tant collectives qu’individuelles, conflit retranscrit avec réalisme et spectaculaire par le réalisateur de Bernie et de 9 mois fermes. Et pour cause : les premières scènes du film sont un vrai travail de virtuose, la bataille faisant rage et plongeant immédiatement le public en son cœur. Une plongée dans l’horreur qui traduit bien toute l’absurdité du conflit – qui aurait dû par ailleurs être ici suspendu par une amnistie – et nous permet également de faire la connaissance d’un personnage clé du récit. Le colonel Pradelle apparaît ici dans tout son égoïsme et son aveuglement, leader effrayant bien décidé à retirer de cette guerre toute la violence possible. Une soif de pouvoir et de sang qui fera perdre la vie à bon nombre de ses soldats, l’hybris de cet homme lui conférant toute sa dangerosité. Un homme incarné avec justesse par Laurent Lafitte bien que son caractère menaçant et meurtrier ait été diminué au profit du côté pince sans rire du personnage, trait devenu courant dans la filmographie de l’acteur. L’effet de terreur de celui qu’il incarne sur Albert, soldat sauvé de la mort par le jeune Edouard, n’en demeure pas moins des plus efficaces.

Gaumont

Albert donc, narrateur unique et témoin des aventures du talentueux et torturé Edouard Péricourt. Un soldat blessé lors de l’assaut, lui qui a été touché par un éclat d’obus après avoir sauvé la vie d’Albert, lui qui se fera une mission de tirer son compagnon d’armes d’affaires malgré me déséquilibre certain – et justifié – de ce dernier. Un homme qui refuse de revoir les siens et se créera un vaste panel de masques pour cacher son visage désormais défiguré. De sa bouche ne sortent plus que des borborigmes que seule la petite Louise arrive à déchiffrer. La jeune voisine deviendra un allié de taille du duo Albert-Edouard, elle qui offre par ailleurs au film certaines de ses scènes les plus attendrissantes et drôles, malgré quelques redondances dispensables. L’enfant aidera par ailleurs son ami défiguré à se constituer toute sa galerie de masques, travail grandiose de leur créatrice Cécile Kretschmar et de la costumière Mimi Lempicka. Un camouflage qui se transforme en véritables œuvres d’art et qui retranscrit l’univers haut en couleurs et fantasque mis en place par Edouard dans l’ouvrage de Pierre Lemaître. Des créations bien plus spectaculaires que dans le roman original, réalisations sommaires en raison de la pauvreté d’Albert et d’Edouard, à qui l’on confère ici toute leur majesté. Des œuvres également sublimées, comme toutes les scènes du film, par le travail de recoloration effectué sur l’image d’Au revoir là-haut. Les jeux de coloration et de grain donnent au long-métrage son atmosphère si particulière à l’aspect vieilli et au charme indéniable. Des choix esthétiques qui, comme le confirmera Albert Dupontel, évoquent grandement les premières photographies couleurs réalisées par les frères Lumière. Une plongée dans le passé réussie et aidée par le travail d’un technicien de la série documentaire Apocalypse mais qui aurait toutefois pu être dispensée de certains flash-backs bien faibles face à cette œuvre à l’esthétique, du reste, irréprochable.

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Écouter le metteur en scène parler de son œuvre, c’est comprendre l’attachement que celui-ci a tissé avec le roman de Pierre Lemaître. Ce travail d’adaptation réalisé par Dupontel s’est permis quelques libertés – l’épilogue notamment – tout en restant très proche de l’univers originel de sa source première. Ainsi, Albert est tout aussi attachant que dans l’ouvrage de base, alliant sensibilité et maladresse, cherchant constamment à faire le bien d’Édouard et de ceux qu’il aime. Le blessé quant à lui est incarné avec brio par Nahuel Perez Biscayart – révélation de 120 Battements par minute – dont l’expressivité hors-normes, passant par un jeu de regards et de gestuel impressionnant, scotche littéralement. Un héros fantasque dont l’énergie crève l’écran, lui qui apparaît beaucoup plus pétillant que dans l’œuvre originale. Un caractère haut en couleurs dont on peut regretter la quasi-omniprésence, Édouard se montrant beaucoup plus mélancolique et sombre dans l’œuvre de Pierre Lemaître. Notons cependant toute la richesse de cet ouvrage, foisonnement bien difficile à retranscrire dans un film dont la durée – suffisante – d’une heure et cinquante-sept minutes ne permettait pas d’en traiter toute la complexité. Hormis cette légère simplification, le personnage d’Édouard nous fait passer du sourire aux larmes, Nahuel Perez Biscavart mettant encore une fois à profit tout son potentiel dramatique. Nous retiendrons par ailleurs sa séquence partagée avec le grand Niels Arestrup, source d’émotions – non feintes – pour ses interprètes comme pour son public.

Camille Muller

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