-George Clooney ; 2017-

Bienvenue à Suburbicon ! Il en aura fallu du temps, pour découvrir l’histoire de cette petite bourgade américaine des années cinquante. Écrit par les frères Coen, le script du film dormait dans les tiroirs depuis les années quatre-vingt, jusqu’à ce que George Clooney se décide à le porter à l’écran en 2005. Douze années supplémentaires ont donc été nécessaires pour que le projet soit (enfin) mené à son terme. À sa tête, un duo d’acteurs que le cinéma américain n’a plus à présenter : Matt Damon, grand ami de Clooney, et Julianne Moore, que l’on a retrouvée tout récemment dans Le Musée des Merveilles de Todd Haynes.

Suburbicon est une paisible petite ville résidentielle aux maisons abordables et aux pelouses impeccablement entretenues, l’endroit parfait pour une vie de famille. Durant l’été 1959, tous les résidents semblent vivre leur rêve américain dans cette parcelle de paradis. Pourtant, sous cette apparente tranquillité, entre les murs des pavillons, se cache une réalité tout autre faite de mensonge, de trahison, de duperie et de violence…

Si Clooney réalisateur n’a pas encore la même force créatrice que ses scénaristes, force est de constater que le propos de ce Bienvenue à Suburbicon a une saveur toute particulière à l’égard de l’Amérique d’aujourd’hui. Manipulations, jeux d’influences, discriminations… Tous les actes de violence du quotidien s’y trouvent, comme toujours tournés en dérision par les frères Coen, mais aussi remis en perspective de manière audacieuse. Pas exempt de défauts, Suburbicon se montre habilement efficace.

La vérité sort de la bouche des enfants

La principale force de Bienvenue à Suburbicon est de faire majoritairement vivre au spectateur toute cette violence sous le point de vue d’un enfant : le petit Noah Jupe incarne Nicky Lodge, fils de Gardner et Rose, qui assiste impuissant aux faits et gestes de sa famille, cellule qui bascule peu à peu dans le vice. Et ce malgré l’apparence des plus parfaites de leur résidence, tout comme leur voisinage. Couleurs flamboyantes, musique jazz guillerette, ouverture sur une imitation de publicité d’époque pour inciter au développement de ces nouvelles banlieues chics… Suburbicon a l’allure de la ville parfaite. On pense inévitablement à l’arrivée du héros de Tim Burton dans Edward aux mains d’argent, dont la noirceur tranche radicalement avec l’ensemble. Ici, la noirceur se situe entre les murs. Par son jeune âge, et son innocence, Nicky n’a pas conscience de ce qui se passe devant ses yeux. Nombreux sont les plans sur son regard perdu, perplexe, et incompréhensif face à de multiples situations, comme lorsque son père l’incite à mentir en face des forces de l’ordre. Ces premiers méfaits cachent un plan plus machiavélique encore : à Suburbicon, lorsque les lumières s’éteignent, les passions de chacun (au sens philosophique du terme) resurgissent.

Copyright : Metropolitan FilmExport

Il est intriguant de voir la manière dont le couple Matt Damon / Julianne Moore tente d’édulcorer la réalité et d’y échapper. Nous retrouvons là le grain de sel des frères Coen et leur ironie toujours aussi acerbe, comme lorsque Gardner mange un sandwich face à son fils, tout en étant tâché de sang, ou quand il se retrouve poursuivi par les malfrats alors qu’il conduit un petit vélo pour enfant. Ce mélange des tons est indissociable de l’écriture des deux frères, mais le tout manque cependant de folie sous la caméra de George Clooney. Bienvenue à Suburbicon place deux intrigues en parallèle : l’histoire des Lodge, mais aussi celle de la famille Mayers, un couple d’afro-américains qui emménage dans cette petite ville en compagnie de leur fils Tony. Alors que les problèmes des Lodge se règlent en privé, entre les murs, les Mayers subissent la pression populaire qui voit d’un très mauvais œil leur arrivée. Un racisme décomplexé, explicitement manifesté, auquel les Mayers n’auront comme réponse que l’indifférence. Voir leurs voisins dresser des barrières entre leur résidence, alors qu’un mur doit être construit à la frontière mexicaine dans les mois à venir, est particulièrement cocasse : ancré dans son époque, soit la fin des années cinquante, le script de Suburbicon était aussi, finalement, plutôt en avance sur la nôtre.

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Si ces deux intrigues ont beau avoir du mal à cohabiter – le basculement de l’une à l’autre n’est pas toujours très subtil, même si le dénouement de l’intrigue des Mayers profite au couple Lodge- celles-ci indiquent que le mal se trouve parfois bien plus proche qu’on ne le pense. Et même si la réalisation de George Clooney peine à avoir le même clinquant que les frères Coen, Bienvenue à Suburbicon séduit par le talent de ses interprètes ; Julianne Moore en tête, dont la double performance met en lumière la perversité naissante dans cette famille. Malgré une apparition plutôt furtive, dans le rôle d’un assureur un peu trop curieux, Oscar Isaac – que l’on retrouvera en salles dans La Promesse – se prête à un beau coup de poker face à Matt Damon.

Gabin Fontaine

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