– Xavier Beauvois ; 2017 –

1915, alors que les hommes sont mobilisés au front, l’arrière continue de faire fructifier la terre et de soutenir l’effort de guerre à force de labeur et de courage. Hortense gère d’une main de maître l’exploitation familiale en compagnie de sa fille Solange, en l’absence des hommes de la propriété. Les deux femmes trouveront en Francine une aide indispensable et une femme pleine de ressources, tant sur le plan physique qu’humain. Cette aide ne tardera pas à susciter l’intérêt de Georges, fils cadet d’Hortense parti au front qui, lors de ses permissions, revient chaque fois plus traumatisé par ce conflit de longue haleine.

C’est après la projection du Petit Lieutenant, organisée par le Forum des images dans le cadre d’Un État du monde, que nous découvrons le dernier film de Xavier Beauvois : Les Gardiennes. Une œuvre dans laquelle le cinéaste retrouve son actrice fétiche, elle qui le suit pour une troisième collaboration, la grande Nathalie Baye. Une interprète dont la carrière a été récompensée par le César de la Meilleure actrice pour son rôle de Caro, femme flic, et que l’on retrouve une nouvelle fois dans un rôle marqué par son autorité et sa force naturelles. Les cheveux gris, robuste mais rongée par la fatigue, Hortense régit avec pugnacité sa ferme au côté de sa fille – interprétée par la talentueuse Laura Smet, parfaite dans ce rôle d’épouse en apparence forte et confiante mais pourtant rongée par le doute. Une femme d’âge mûr qui représente à la fois cette communion entre l’Homme et la terre, basée sur une entente de chaque instant entre animaux et maîtres ainsi que sur une parfaite connaissance d’une nature apprivoisée ; mais également toute la persévérance des populations restées à l’arrière. Des épouses, veuves, sœurs, filles restées aux côtés des enfants et des personnes âgées, inaptes au combat ; elles qui soutiennent le pays à bout de bras, toutes appliquées à le faire survivre dans ces temps de guerre et d’incertitudes. Des gardiennes donc, qui affirment leur autorité et leur rôle primordial dans les usines et champs du pays, à l’image de Solange qui a hérité du caractère de décideuse de sa mère. Une épouse ingénieuse qui s’impose tant dans les décisions relatives à la ferme – investissement dans un matériel moderne et innovant, gestion des ventes et du personnel de l’exploitation – mais également dans sa vie personnelle, confrontée à ses désirs et doutes en tant qu’individu et non plus seulement en tant qu’épouse. Loin de son mari, la jeune femme découvre ainsi des envies jusqu’alors bafouées et s’épanouit en un sens, en dépit des souffrances et d’une peur certaine.

Pathé Films

Un épanouissement et une affirmation de soi que l’on observe encore davantage avec le personnage de Francine, jeune aide qui du statut d’adolescente et d’apprentie, finira par s’accomplir en tant que femme indépendante et décisionnaire. Portée par la révélation Iris Bry, l’héroïne symbolise plus que jamais la capacité d’adaptation de ces femmes filmées avec amour par la caméra de Xavier Beauvois. Un personnage orphelin, recueilli puis rejeté par les siens et qui saura toutefois, grâce à son optimisme et à sa combativité, reprendre pied. Une force de la nature donc, mais également une « boussole morale », un repère dans cette fresque non dénuée de cruauté. Car malgré toute l’admiration du cinéaste pour ses personnages – et ses actrices – ce dernier n’en oublie pas de porter un regard critique sur Hortense et ses choix éthiques. Une mère qui ne reculera devant rien pour protéger les siens mais également, et c’est bien là aussi son tort, pour préserver les apparences entourant les siens. Un aveuglement qui alimente la relation entre Francine et sa patronne, très bien dessinée par Beauvois et les scénaristes Frédérique Moreau et Marie-Julie Maille ; lien de confiance et d’amour peu à peu gagné finalement nourri de rancœur et d’incompréhensions. Cette filiation choisie vient compléter celle, naturelle – et bien réelle – unissant Hortense et Solange, elle aussi soumise au caractère sans concession de la vieille femme. Des liens que dépeint avec détails le cinéaste dans des scènes poussées – voire poussives – et qui nous permettent d’appréhender les multiples états émotionnels des protagonistes. Des séquences parfois trop longues ou appuyées qui, par contraste, marquent tout le talent du réalisateur pour une approche suggestive davantage construite sur le silence et une finesse qui, elle, prouve une indéniable sensibilité pour ses personnages aussi bien féminins que masculins.

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Enfin, ce sont dans ses séquences contemplatives que le film acquiert ses lettres de noblesse, sublimé par le travail de la grande Caroline Champetier. Celle qui a côtoyé les plus grands, de Claude Lanzmann à Leos Carax, Jean-Luc Godard ou encore Philippe Garrel ; nous livre ici un travail photographique à la beauté saisissante. Se basant sur une lumière naturelle, la directrice nous offre de magnifiques plans larges, marqués par une attention particulière donnée aux couleurs. Des couleurs symboles de vie – le travail de la terre mais également l’arrière et ses représentants – et de modernité – l’agriculture et ses prouesses mais aussi le passage du noir et blanc à la couleur sur le plan cinématographique. Une photographie en extérieur caractérisée par des lumières chaudes donc, qui viennent baigner le visage des héroïnes et les sublimer, rendant toutes ses lettres de noblesse au travail agricole, lui dont émerge la vie et le renouveau. Des séquences qui contrastent avec des scènes d’intérieur marquées par leur austérité, représentatives d’une vie de travail et d’économies. Un labeur que l’on contemple au fil des années et des saisons, au côté de ces femmes que l’on suit pendant six longues années, marquées par autant de peines et de joie, filmées par le regard attentif et respectueux du metteur en scène. Des Gardiennes donc, de notre histoire et du rôle de l’arrière en temps de guerre, hommage réussi en de multiples tableaux de genre aux femmes qui ont soutenu leur pays.

Camille Muller

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