Après plus d’un an d’attente – quatorze mois précisément – la quatrième saison de Black Mirror est enfin disponible sur Netflix. La grande série d’anticipation est de retour avec de nouvelles intrigues tout aussi effrayantes que les précédentes.

Un petit retour sur la série s’impose …

Black Mirror est une mini-série britannique écrite par Charlie Brooker et Jesse Armstrong. Elle se découpe en présentant des scénarios indépendants les uns des autres mais ayant, à chaque fois un thème commun: l’information, les réseaux sociaux et plus largement, la technologie. Toutefois, la série s’intéresse surtout à comment tout cette obsession de l’image et de la technologie parvient à influer sur les comportements humains. Tous les épisodes de Black Mirror peuvent se regarder de manière indépendante mais ont tous pour point commun une innovation à caractère dystopique. Parfois gênante et souvent dérangeante, elle nous entraîne dans une réflexion profonde sur la société de consommation et les liens qui unissent les gens aux objets technologiques tels que leur téléphone, leur télévision, les réseaux sociaux, etc.

Black Mirror pousse l’aliénation technologique à son paroxysme. Cependant, le show Netflix ne nous présente pas ici un système qui dépasserait son créateur et le commanderait. En effet -rappelez-vous- certains films, d’animation ou non ont pu déjà s’essayer à une lecture dystopique de la société où la technologie aurait complètement et définitivement pris le contrôle sur les humains. Dans I, robot d’Alex Proyas, les machines finissent par contrôler la ville en instaurant notamment un couvre-feu. De même, dans le Pixar WALL-E, l’Humanité fuit la terre et vit désormais dans un vaisseau entièrement doté d’une technologie avancée: celle-ci va finalement prendre le contrôle des humains, sans que ces derniers ne s’en rendent compte. Black Mirror, en revanche, n’anéantit pas la volonté de ses personnages en faisant d’eux des robots, aliénés physiquement et mentalement par des objets technologiques, mais fait en sorte que leur volonté et libre-arbitre ne soient qu’un deuxième choix après l’épuisement des possibilités offertes par ces nouveaux objets. En ce sens, les hommes préfèrent l’aliénation technologique (tant celle-ci ouvre, de plus en plus, le champ des possibles) au libre exercice de leur volonté. Comportement absurde mais réel qui est particulièrement pointé du doigt ici. La série serait ainsi un sombre miroir de la société dans laquelle nous vivons, comme l’indique son titre: « Black Mirror »…

Netflix

Le miroir d’une absurde réalité

De ce fait, le concept de la série ne réside pas dans l’imagination d’une forme de technologie quelconque prenant le dessus sur son créateur. Il réside bel et bien dans l’étude des comportements concrets des humains face à cette technologie que nous connaissons ou du moins que nous envisageons de créer dans un futur proche. La dimension dystopique de ces épisodes révèle certes, la possibilité de telles absurdités liées à ce surenchérissement de la technologie aux yeux des hommes. Toutefois, elle veut surtout mettre en lumière la proximité comportementale de ses personnages d’avec nous spectateurs, à l’époque où nous visionnons la série. Ainsi, l’absurde est souvent le mot d’ordre dans Black Mirror, tant celle-ci nous confronte à des scènes complètement aberrantes, mais nous paraissant pourtant si proches de notre quotidien. Et cette dynamique est établie dès le Pilot (« The national anthem »): épisode où l’on exige du Premier ministre anglais d’avoir un rapport sexuel avec un cochon en direct devant tous les écrans de télévision s’il veut récupérer vivante la princesse de la famille royale, détenue par de mystérieux oppresseurs. … Le ton est on ne peut plus lancé !

Netflix

Sans aucun doute, la série est un remarquable tour de force en ce qu’elle parvient à établir un contraste entre le réalisme des technologies et l’absurdité des comportements. Et le résultat est souvent spectaculaire. Un univers futuriste mais toujours sobre et maîtrisé, des effets spéciaux subtils et bien amenés, des intrigues qui parlent à tous mais jamais redondantes; il semble que Black Mirror n’a pas fini de nous étonner !

 

Une fiction réflexive

Black Mirror est néanmoins plus complexe que le titre qu’elle porte. Si la série n’était, comme son nom l’indique, qu’un « miroir », il n’y aurait aucun écart visible entre notre réalité et la fiction apparaissant à l’écran. (Et là, cela deviendrait réellement effrayant !) Dans ce cas, devons-nous réellement parler de « miroir » ? Pas vraiment. Black Mirror conserve, en fait, cet écart afin de pointer du doigt les dangers potentiels de nos innovations technologiques. La série est comme un signal d’alarme, un panneau « DANGER », dénonçant les plus sombres retors pouvant découler de nos inventions pourtant si alléchantes. En cela, elle est la parfaite série d’anticipation, réfléchissant à la fois au comportement humain d’aujourd’hui, et aux risques des dérives de demain.

Comme dans le chef-d’œuvre d’Oscar Wilde, où le fameux portrait de plus en plus horrifiant, révèle à notre cher Dorian Gray son intériorité véritable et la tragique réalité qui le touche, Black Mirror nous met face aux horreurs, absurdités, et « non-sens » de notre propre réalité. La série, est alors didactique, et nous dit quelque chose sur nous-même, en imaginant ces fictions toutes aussi incroyablement barrées – mais pourtant si réalistes – les unes que les autres !

// ATTENTION SPOILERS //

 

Saison 4: Une lueur d’espoir dans ce « sombre miroir » ?

Beaucoup de fans affirment que la dernière saison de Black Mirror se distingue des précédentes en ce qu’elle apparait moins sombre, moins négative et moins critique vis-à-vis des nouvelles technologies. Est-ce totalement vrai ?

Dans les saisons précédentes, nous avons pu observer, il est vrai, une critique amère des nouvelles technologies en ce qu’elles étaient la cause d’une aliénation des Hommes.  En cela, le Pilot (« The National Anthem »), le premier épisode de la saison 3 (« Nosedive ») et bien d’autres encore illustrent parfaitement cette absurde « idolâtrie technologique ». La tonalité était d’ailleurs assez grave la plupart du temps. Un épisode tel que « White Bear » dans la saison 2, nous glace le sang et nous ébranle pendant un long moment en nous dévoilant une intrigue des plus sombres et des plus malsaines. (Sans doute l’épisode le plus perturbant de la série jusque-là !)

En comparaison, l’épisode « Hang the DJ » de la saison 4 apparait bien plus romantique et lumineux. Même si l’épisode semble, dans un premier temps nous révéler les méfaits des sites de rencontres pouvant exister aujourd’hui, dans un univers toujours aussi « modérément » futuriste régi par un système profondément liberticide, l’intrigue et tout ce qui s’en suit n’est pas sans ajouter un brin de poésie et de romantisme. En effet, l’histoire d’amour entre Frank et Amy parvient vite à nous attendrir et le dénouement optimiste de celle-ci vient comme casser la dynamique de la série, d’habitude si sombre et défaitiste.

Netflix

Une critique de l’Homme prométhéen

La saison 4 vient changer son angle de tir, et semble plutôt s’intéresser à la dimension prométhéenne de l’Homme. Cette dernière saison se révèle ainsi être la critique de l’Homme contemporain cherchant sans cesse l’innovation, le progrès, le « mieux-vivre » par le biais de la technologie. Critique d’un Homme trop orgueilleux ? Peut-être. En effet, l’épisode 2 (« Arkangel ») nous montre littéralement comment la volonté de sur-protection d’une mère sur son enfant peut, à terme, engendrer des monstres. De même, l’épisode suivant, « Crocodile » met en lumière les conséquences néfastes d’une innovation pourtant utile aux premiers abords: un système de recollection des souvenirs permettant d’enquêter plus facilement sur les meurtres ou accidents. Ce système novateur est alors à l’origine d’un mal conséquent puisque c’est lui qui place le personnage principal (Mia Nolan) dans un absurde cercle vicieux, la poussant ainsi à commettre tous ces crimes, de plus en plus dépourvus de sens (si tant est qu’il y en ait eu un au départ!).

Netflix

L’aliénation demeure et est toujours critiquée avec brio. Toutefois, elle n’est plus au centre des enjeux dans cette dernière saison. Il s’agit plutôt ici, en réalité, de pointer du doigt un comportement humain qui a toujours existé et qui s’amplifie de plus en plus avec les nouvelles technologies: l’idée et la quête du « progrès ».
Finalement, cette saison 4 est d’autant plus sombre que les saisons précédentes. Plutôt que de critiquer le comportement humain éventuel vis-à-vis de ces technologies, elle s’attaque au comportement de l’Homme en tant que tel, bouleverse l’idéal humain de progrès et parvient même à questionner l’idéal d’une perfectibilité de l’Homme. Ici, le progrès, on l’aura compris, engendre des monstres et déshumanise les êtres.

La saison 4 est donc une critique d’une certaine forme de transhumanisme; critique en réalité déjà présente dans les saisons précédentes, mais uniquement par bribes: dans l’épisode 3 de la saison 1 par exemple, « The Entire History of You » où les êtres humains, défiant l’obstacle de la mémoire et de l’oubli peuvent à l’infini revisionner leurs souvenirs. La saison 4 vient dès lors confirmer cette même approche de la technologie puisque plusieurs épisodes de la saison évoquent une innovation technique ou technico-scientifique censée améliorer la condition humaine, mais qui finalement engendre l’absurde, le monstrueux, l’inhumain. Cela est on ne peut plus clair dans le dernier épisode de la saison 4 : « Black Museum », où l’une des intrigues nous raconte l’histoire d’un neurochirurgien qui, « à cause » d’une innovation technico-scientifique majeure et révolutionnaire, devient littéralement accro à la douleur d’autrui, celle-ci lui procurant un plaisir inimaginable et surtout addictif à souhait. Et cela en devient vite cauchemardesque !

Netflix

Un enjeu éthique réaffirmé

Il est l’un des plus importants de la série, cela ne fait aucun doute. Déjà présent dans la deuxième saison, dans un épisode tel que « Be Right Back » où la possibilité de recréer à l’identique le corps d’un défunt est questionnée, l’enjeu éthique semble guider la plupart des intrigues de la série. Et le fait est qu’avec une technologie de plus en plus avancée, et de plus en plus puissante et innovante, l’Homme dans tout ce qu’il a d’humain semble relégué à une seconde position. L’Homme, être faillible et limité dans ses capacités, cherche avec la technologie à pallier ses faiblesses. La technologie outrepasse malheureusement quelque chose qui est pourtant si cher à l’humain : les questions éthiques et morales. Et ce n’est pas un hasard si cela est tant présent dans les épisodes de Black Mirror. Là est la principale peur qui ressort de ce progrès incessant de la technologie: la déshumanisation de l’Homme.

C’est l’enjeu le plus prégnant et le plus visible dans cette nouvelle saison. Pratiquement tous les épisodes de la saison 4, en effet, évoquent cet enjeu éthique. Dans le premier épisode, « USS Callister », la recréation d’un être virtuel depuis l’ADN de la personne vient questionner l’éthique des avancées technologiques permettant par exemple de jouer aux jeux vidéos en réalité virtuelle.  Est-ce éthique de recréer une conscience et de l’enfermer éternellement dans un monde virtuel pour la manipuler à des fins personnelles ? La réponse à cette question est presque trop évidente. Toutefois, l’épisode aborde cet enjeu éthique avec brio, tout en y ajoutant un brin d’humour, et des références culturelles.

Dans « Arkangel », le filtre que la mère décide d’activer sur le système de surveillance qu’elle a elle-même implanté dans la tête de sa fille vient déshumaniser l’enfant puisque celle-ci, étant soi-disant « à l’abri » de toute peine, ne parvient même plus à faire la différence entre le bien et le mal. Les questions éthiques et morales n’ont aucun sens pour elle, et c’est ce qui explique ses agissements démesurés en fin d’épisode.

Netflix

Black Museum: L’accomplissement d’une anthologie

Le sixième et dernier épisode de la saison semble préluder à quelque chose de nouveau pour la série. En effet, « Black Museum » est comme un lieu de jonction pour la plupart des histoires que nous connaissons déjà. Pour la première fois dans la série, il semble que des épisodes apparemment indépendants aient finalement un lien. Ce lien est d’ailleurs représenté par le propriétaire du musée qui est apparemment mystérieusement connecté à de nombreuses intrigues, puisque celui-ci connait, raconte, et a même un rôle dans plusieurs d’entre elles.
En cela, le dernier épisode de la saison 4 semble ouvrir sur une approche nouvelle. Il ne s’agit plus de penser les intrigues indépendamment, comme ayant été imaginées dans des univers bien particuliers et distincts les uns des autres. Toutes ces intrigues seraient-elles le fruit d’une seule et même réalité ? Cela reste à confirmer. Il semble difficile de concevoir un seul univers abritant toutes ces aventures si différentes.

Pourrions-nous imaginer une cinquième saison allant dans le sens de ce dernier épisode ? Ou n’était-ce qu’une parenthèse, un aparté clôturant la saison en beauté? Réponse au prochain épisode (fin 2018, si on a de la chance! – la cinquième saison n’ayant pas encore été confirmée)

 

Rachel Rodrigues

4.55/5 (11)

Et si vous nous donniez votre avis ?