Invités dans le cadre du cycle « Le Monde est Stone » organisé par le Forum des Images en l’honneur et avec la collaboration du réalisateur Oliver Stone, les rédacteurs cinéma de Scotchés reviennent sur certains des plus grands classiques du cinéma américain.

Focus sur le film qui a ouvert les festivités ce mercredi 10 janvier : le Docteur Folamour de Stanley Kubrick. L’un des films de chevet d’Oliver Stone, qui fait ainsi partie de sa carte blanche au côté d’un autre long métrage de Kubrick, Orange mécanique, ou encore Easy Rider de Denis Hopper. Trois exemples d’un monde en furie, en proie à la violence et aux excès. Sorti en 1964, Docteur Folamour s’impose comme un portrait au vitriol de l’administration américaine, aussi bien politique que militaire, dans une ère de Guerre Froide où tout est prétexte à relancer les hostilités entre les États-Unis et la Russie.

Le titre complet du film (« Docteur Folamour, ou comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe »), inscrit au générique dans une calligraphie presque enfantine, plante d’ores et déjà le décor. Une heure et demie de grand n’importe quoi, où le rire côtoie pourtant des sujets des plus graves tels la menace d’une arme atomique dévastatrice. À l’heure où Donald Trump et Kim Jong-Un s’adressent des menaces de guerre nucléaire par tweets et prises de parole interposées, difficile de ne pas voir en quoi le film de Kubrick s’avère si pertinent et ravageur.

Le général Jack Ripper, convaincu que les Russes ont décidé d’empoisonner l’eau potable des États-Unis, lance sur l’URSS une offensive de bombardiers B-52 en ayant pris soin d’isoler la base aérienne de Burpelson du reste du monde. Pendant ce temps, Muffley, le Président des États-Unis, convoque l’état-major militaire dans la salle d’opérations du Pentagone et tente de rétablir la situation.

Homme d’État, homme de pouvoir, homme de science : l’épatante triple performance de Peter Sellers

La réussite de Docteur Folamour tient avant tout du talent de son principal interprète, Peter Sellers, qui endosse le rôle de trois personnages différents (à défaut d’un quatrième, présent dans l’avion que l’on suit tout au long du film, qu’il n’a pu incarner suite à une blessure). Par conséquent, l’acteur est présent (presque) partout à travers la diégèse et les décors. Un temps militaire, l’autre Président des États-Unis ou savant fou, bonté et folie n’ont de cesse de se contrebalancer à travers ses diverses interprétations – son grimage restant, plus de cinquante ans plus tard, très efficace.

Sellers subit les incontrôlables ardeurs du général Ripper (Sterling Hayden), parfait stéréotype du militaire abusant de ses pouvoirs à tous les points de vue. Obsédé par sa perte de fertilité (la seule femme présente dans le film est celle dont il tente de s’éprendre), Ripper blâme l’URSS et tient ses dirigeants responsables d’un complot destiné à rendre les hommes américains impuissants. Ripper, « l’éventreur », prend ainsi cette décision passible de mener le monde à sa perte. Face à lui, Sellers se met à distance dans le rôle d’un officier britannique : recul, réflexion, dialogue sont ses maîtres mots ; tout le contraire de son collègue qui souhaite en découdre à tout prix.

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Ses deux autres performances sont beaucoup plus nuancées, effaçant subtilement toute expression de manichéisme au sein de l’histoire. Il n’y a ni « gentils Américains », ni « méchants Russes », mais juste deux nations prêtes à tous les sacrifices pour éviter une perte ultime : celle de la planète, quitte à éliminer leurs propres hommes. La stature du chef d’État est pourtant tournée au ridicule de bien des manières, comme lors de ces improbables coups de fil échangés avec le Premier ministre russe, si proches de notre réalité, ou de ces phrases dénuées de toute logique : « Messieurs, vous ne pouvez vous battre ici, nous sommes dans la Salle de Guerre ! », tente de dire le Président pour couper court à une altercation.

Le véritable maître à bord, c’est bel et bien le Docteur Folamour, dont la démence contamine peu à peu l’ensemble des personnages : de son accent allemand à couper au couteau au salut nazi qui se manifeste tel un toc, les passions destructrices de ce scientifique semblent avoir bien du mal à se contenir. Le dernier tiers du film, au cours duquel Folamour vole la vedette au Président, est des plus abracadabrantesques. Dans un montage alterné, le Docteur fomente un plan de survie pour l’humanité (dans lequel figurent… sexe faible et sexe fort), tandis que l’équipage d’un bombardier tente toujours d’accomplir sa mission en attaquant des bases russes. L’artificialité des scènes aériennes (une maquette tenue par des fils, parfois clairement visible sur l’image) s’accentue et prête à rire, mais l’effet pose question tant cette opération elle-même est absurde : il y a forcément un moment auquel on ne comprend plus grand chose à ce qui se passe, où l’on se demande pourquoi des Américains attaquent d’autres Américains, pourquoi tout n’a ni queue ni tête. Vu à quel point notre monde est fou, c’est sûrement mieux comme ça.

 

Gabin Fontaine

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