-Hong Sang Soo ; 2018 –

Si vous êtes familiers du travail d’Hong Sang Soo, sachez que vous ne serez pas dépaysés. Dès les prémices du film, on reconnaît la patte du réalisateur. Seule Sur La Plage La Nuit nous narre donc l’histoire (ou plutôt la non-histoire) de Yeong-Hee, une actrice de cinéma rincée ayant une liaison avec un homme marié. Elle attend à Hambourg, ville qu’elle trouve formidable, sans savoir si son amant la rejoindra, et surtout sans savoir si elle en a envie. Le film raconte aussi dans un second segment l’histoire de Yeong-Hee, actrice rincée ayant eu une liaison avec un réalisateur marié. Elle s’est retirée du métier et retrouve des amis de longue date.

Pas d’évènement, pas d’intrigue et pourtant un récit formidablement vitaliste en plans séquences fixes. Seuls quelques zooms et/ou panoramiques viennent dramatiser les non-actions et les tunnels verbeux de personnages qui s’expriment beaucoup mais ne disent pas grand-chose. C’est d’ailleurs une des principales clés d’écriture du cinéaste : ses personnages sont mystérieux voire impénétrables non pas parce qu’ils ne s’expriment pas mais plutôt parce qu’ils s’expriment un peu trop, cachent leurs doutes derrière des phrases toutes faites qui les empêchent eux-mêmes d’accéder à leur intériorité. C’est d’ailleurs ce qui rend ces flots de paroles attendrissants : on devine derrière ces façades toutes les difficultés à se trouver une envie d’exister. Non pas que les personnages souhaitent mourir, mais ils ne parviennent pas à trouver une motivation concrète non plus. Yeong-Hee saute ainsi de projet en projet, d’envie en envie mais aucune d’elles ne semble tangible, par contre chacune sonne comme une tentative pour masquer une béance existentielle, qui éclatera comme une bulle au détour de scènes alcoolisées (pas de doute, on est bien chez HSS), dont on ne sait plus trop si elles ont existé ou non, et au fond peu importe. Ce qui compte c’est d’avoir réussi à faire éclater la bulle en question.

Pour autant, si le personnage principal est (comme d’habitude avec Hong Sang Soo) touchant dans ses errements, on ne peut s’empêcher de penser qu’on a affaire à une énième itération de personnage paumé dans le temps et l’espace comme le réalisateur en fait tant. C’est d’autant plus embêtant que Seule Sur La Plage La Nuit, s’il est loin d’être un film raté de la part de son auteur, est franchement moins captivant que Yourself And Yours ou Un Jour Avec Un Jour Sans, en plus d’être un difficile pas supplémentaire dans l’absence d’esthétique plastique volontaire. Probablement celui de trop d’ailleurs, certaines images faisant vraiment mal aux yeux, notamment dans les scènes d’intérieur, même si certains extérieurs ne sont pas en reste. Ne vous fiez surtout pas aux affiches, le film est plastiquement très peu accueillant voire assez dégueulasse.

Au final, Seule Sur La Plage La Nuit est pétri de bonnes intentions mais se regarde très poliment. Le problème principal du film, c’est son premier segment en Allemagne, qui demande à apprivoiser un personnage somme toute franchement peu intéressant au premier abord et dont on se demande vraiment ce qu’on fout avec elle, tant ce qu’elle dit est affligeant de constatations plates en mode « la vie la pute ». On apprend donc de ce personnage très creux qu’elle aime les pâtes, les parcs et les marchés. Ok bro. Il y a un côté assez désagréable à déambuler avec une actrice à succès qui a beau fuir un pays et un amant qu’on sent tous deux pesants, n’en reste pas moins très creuse. On comprend bien que ce caractère superficiel n’est pas un défaut d’écriture mais bien un trait volontairement saillant. Cela dit, les interactions de Yeong-hee avec son environnement et ses pittoresques congénères pianistes cancéreux (cette scène est très malaisante) n’en restent pas moins vraiment pénibles à regarder. Difficile par la suite de se raccrocher à un personnage aussi lisse qui n’a l’air de souffrir que d’un genre de bovarysme et de besoin d’exotisme grand bourgeois agaçant. Tout ceci est évidemment contrebalancé dans la deuxième partie, mais les deux sont tellement autonomes et indépendantes l’une de l’autre qu’on se demande pourquoi on s’est tapé un affreux dîner autour d’un plat de pâtes italiennes dans un décor de film institutionnel Ikéa horriblement blanc alors qu’on aurait pu, sans que cela gêne la compréhension du personnage principal*, passer tout de suite aux flamboyantes scènes d’ivresse.

*La deuxième partie n’est pas conçue comme une redéfinition ou une révélation du caractère profond du personnage. Simplement, les situations qu’elle traverse la poussent à en dire plus sur elle-même.

Lino Cassinat

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