– Richard Linklater ; 2018 –

Le productif Richard Linklater revient cette année avec un nouveau film dont la volonté claire (et affichée) est d’aborder frontalement le conflit irakien comme un équivalent de la guerre du Vietnam de la génération Flower Power. L’idée lui en serait venue dès les débuts de l’invasion, mais le réalisateur aurait souhaité attendre de pouvoir prendre du recul pour mieux aborder le sujet. Pour un résultat malheureusement très en demi-teinte.

Last Flag Flying nous raconte l’histoire d’un père de famille vétéran de la guerre du Vietnam (Steve Carrell) en 2003 qui, en l’espace de quelques mois, a tout perdu. Notamment son fils, mort en Irak dans une embuscade nous dit-on. Veuf et très isolé, il ne sait vers qui d’autres se tourner que deux anciens camarades de guerre avec qui il a fait les 400 coups : Bryan Cranston, resté rebelle et brut de décoffrage malgré les années et maintenant gérant de bar, et Laurence Fishburne (Samuel L. Jackson), qui lui s’est assagi après avoir trouvé Dieu et être devenu pasteur. Steve Carrell  convainc alors ses deux amis (surtout Fishburne, beaucoup plus réticent) qu’il n’a pas vu depuis 30 ans de l’accompagner récupérer la dépouille de son fils. S’en suit alors un voyage aux nombreuses péripéties dont on vous passe les détails pour ne pas trop spoiler.

Le film se montre assez décevant pour plusieurs raisons, et la plus gênante d’entre elles est probablement que la majeure partie du long-métrage n’est pas à la hauteur de la première demi-heure/45 min, vraiment très poignante. C’est dans cette partie que l’œuvre se montre la plus virulente, et une fois que l’on passe de la voiture au train, il est très surprenant (dans le mauvais sens) de voir la devenir beaucoup plus bateau (jeu de mots), s’installant confortablement sur les rails (combo de jeu de mots) d’un bro-trip sympathique mais franchement ronflant. C’est d’autant plus dommage que l’autre travers majeur du film c’est que son personnage principal a beau être extrêmement touchant et être la plus grande qualité du film*, sa discrétion naturelle fait qu’il est complètement phagocyté par Lawrence Fishburne cabotinant comme il peut des répliques vénères pensées pour Samuel L. Jackson et Bryan Cranston qui parle fort et fait des blagues. Encore une fois, rien d’automatiquement rébarbatif (à part un dialogue très pénible sur les prostituées), simplement il apparaît clairement que le film perd petit à petit son cap, particulièrement à la faveur d’une digression à New-York.

Malheureusement, si les 20 dernières minutes reprennent des couleurs en termes d’efficacité narratives et permettent de sortir quelque peu du tunnel, le choc symbolique de la première partie lui, ne reviendra pas. Difficile d’en parler puisque cela obligerait à aborder en profondeur ce qui est très haut la main la meilleure scène du film, or cela risque vraiment d’en gâcher l’émotion, aussi on en dira le moins possible. Simplement, il y a quelque chose de parfaitement exécuté dans cette scène de hangar, où le politique rejoint le drame intime. Cette scène, très riche en émotions mais aussi termes de sens et pourtant très économe en termes d’effets de style est une démonstration magistrale de la nécessité pour une civilisation d’inventer des mythes (à la fois dans le sens commun et dans le sens étymologique « mensonge ») avec des étoiles (ou pour être dans le vent, faire du storytelling, you know) pour perpétrer sa culture (en l’occurrence guerrière), et de cacher ses horribles vérités en charpie dans ses cercueils vernis.

Mais bon, ce grand moment acide et complexe ne servira curieusement de point de départ qu’à une histoire de bonne camaraderie, et le vitriol de cette séquence sera vite enterré (jeu de mots), et ne nous évitera pas un final certes touchant, mais au fond franchement lénifiant (malgré les bidouilles malhonnêtes mais bien intentionnés du soldat Washington. Le symbole est gros n’est ce pas?), achevant de faire de Last Flag Flying un film complètement inoffensif qui enfonce des portes ouvertes. Bref, si vous devez enterrer un proche ou que vous cherchez à reconstruire votre communauté sans patriotisme, retournez écouter l’abum The Rising de Bruce Spingsteen.

 

*et une démonstration supplémentaire que Steve Carrell est un grand acteur.

Lino Cassinat

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