– Woody Allen ; 2018 –

Après avoir entamé son Grand Tour européen, Woody Allen renoue depuis trois ans avec l’Est étasunien, et plus particulièrement son New York natal, pour le plus grand plaisir de son public. Toujours aussi méticuleux lorsqu’il s’agit de porter à l’écran certains des lieux les plus emblématiques de la ville, le cinéaste esquisse avec Wonder Wheel les traits de la fascinante Coney Island, quartier forain sur le déclin dans les années 1950. Si le schéma narratif reste ici classique, le réalisateur portant à nouveau à l’écran une tragi-comédie amoureuse, la mise en scène bénéficie néanmoins de belles propositions esthétiques.

C’est dans son traitement de l’espace que la dernière réalisation de Woody Allen se montre la plus convaincante, dans la mesure où le cinéaste transforme Coney Island en un formidable huis clos à ciel ouvert, consacrant par là même l’aspect théâtral du récit. Point de subtilité ici pour le récit de Wonder Wheel, puisque les deux personnages principaux, incarnés par les irréprochables Kate Winslet et Justin Timberlake, se définissent eux-mêmes successivement comme actrice et dramaturge ; les monologues face à la caméra du personnage de Timberlake permettent par ailleurs d’affirmer encore la théâtralité de la réalisation, alors que les reconstitutions numériques de la foule sur la plage et devant les plus célèbres attractions du quartier permettent d’ancrer solidement la narration dans ce théâtre extérieur.

Couplé à une bande-sonore jazzy et immersive, le travail sonore sur l’effervescence du lieu permet également de restituer l’atmosphère si particulière de Coney Island ; l’ambivalent huis clos que constitue le quartier devient par le biais du son tout à fait oppressant pour le personnage de Ginny, accentuant ses envies de fuite avec son nouvel amant. Woody Allen parvient, en ce sens, à jouer merveilleusement bien avec cette fausse impression d’ouverture de l’espace scénique, alors même qu’il n’a de cesse de le resserrer autour de son personnage principal, à l’image de son minuscule appartement et, peut-être plus encore, de sa cuisine.

Mars Films

L’aspect visuel de la réalisation est quant à lui avant tout porté par un travail de lumière relativement inédit dans l’œuvre de Woody Allen, le réalisateur confrontant des teintes chaudes et froides très prononcées, dont la symbolique échappe malheureusement parfois au spectateur, dans la mesure où lui-même affirme que ces lumières sont associées aux personnages alors même qu’elles semblent parfois renvoyer à leurs émotions. Quoi qu’il en soit, ce traitement de la lumière offre à Wonder Wheel un cachet visuel des plus remarquables.

Le récit en lui-même est porteur de la théâtralité souhaitée par Woody Allen, ses personnages se retrouvant au cœur d’une tragi-comédie aux traits de vaudeville, où le tragique, donc, côtoie parfois l’absurde, à l’image de l’activité pyromane du fils de Ginny. Mais, bien qu’emprunt de la légèreté caractéristique du cinéma allénien, le récit berce dans une certaine forme de mélancolie, elle aussi emblématique de l’autre grande constante du cinéaste, son pessimisme invétéré, venant ici trancher avec son enthousiasme de retrouver son New York devant la caméra. La dynamique de déclin s’affirme donc rapidement comme le fil rouge de la narration, épousant la trajectoire crépusculaire des lieux ; les teintes chaudes ne seraient-elles donc non pas celles d’une aspiration à un ailleurs, mais plutôt celles d’une lente agonie des rêves de Ginny ?

Mars Films

Sans révolutionner son cinéma, Woody Allen parvient cette année encore à tenir la distance en proposant un récit prenant et souvent inspiré. On retiendra néanmoins que le métrage vient paisiblement ronfler au milieu de la filmographie du cinéaste, ce dernier n’innovant que dans le domaine de la photographie. Pour ce qui est de la théâtralité, trait le plus saillant de Wonder Wheel, elle n’est pas sans nous évoquer Le Rêve de Cassandre, décidément plus convaincant dans son traitement du tragique. Ni décevant, ni inoubliable, la dernière réalisation de Woody Allen se laisse donc savourer comme un tour de grande roue, l’ivresse du vertige en moins.

Vincent Bornert

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