– Scott Cooper ; 2018 –

Auteur prolifique depuis Crazy Heart, scénariste inspiré et réalisateur talentueux, Scott Cooper retrouve Christian Bale cinq ans après l’excellent Out of the Furnace. Toujours aussi soucieux de mettre en scène l’espace étasunien dans ce qu’il a de plus âpre et de plus intime, le natif de Saint-Louis signe avec Hostiles un western aussi bien grandiose que violent, nous ramenant à la plus classique des tragédies de l’Ouest américain.

Plus que pour ses cow-boys et ses bandits de grand chemin, le western se définit avant tout par l’espace de la mise en scène, que le directeur de la photographie favori de Scott Cooper, Masanobu Takayanagi, sublime une nouvelle fois ; on ne sera dès lors pas étonnés de relever le mimétisme entre certaines scènes de Hostiles et celles d’Out of the Furnace, en particulier lorsqu’il s’agit de restituer l’immensité d’une prairie ou la poésie d’un soleil qui décline. Souvent inspiré lorsqu’il pose son cadre, Scott Cooper s’approprie le genre et fait état d’une maîtrise irréprochable dans la cartographie de ses scènes, depuis les terres arides du Nouveau Mexique aux forêts luxuriantes du Wyoming ; chaque séquence de traque ou d’affrontement est parfaitement lisible et la réalisation parvient pleinement à faire ressentir à son spectateur le sentiment d’égarement et de vertige sanguinaire qui saisit les différents protagonistes au cœur de cet Ouest immense et douloureux. Véritable tragédie de la désillusion spatiale, Hostiles rappelle sans cesse à ses personnages que la barbarie n’a pas de frontières, si ce n’est celle des cœurs humains ; l’horreur du Montana répondant à celle du Sud étasunien.

Peut-être parfois un peu trop attentif aux détails, le réalisateur prend également le temps de brosser le portrait de personnages bousculés par la vie de l’Ouest et meurtris par les conflits qui ont bâti les Etats-Unis. Evidemment au cœur du débat, la question indienne est admirablement mise en relief par Hostiles, et le trio d’acteurs que forment Q’orianka Kilcher, Adam Beach et Wes Studi offre une bien belle représentation à l’écran d’une ethnie trop souvent caricaturée par le médium. Face à eux, Christian Bale et Rosamund Pike nous gratifient de performances poignantes et l’on commence à croire qu’après Christopher Nolan, le retraité Batman a retrouvé un réalisateur à suivre. Peut-être est-il toutefois regrettable que Scott Cooper se débarrasse de l’histoire de ses personnages dans une simple poignée de main, consacrant le statut de héros d’un capitaine pourtant odieux toute sa vie durant. Certes simplifiée, la quête de rédemption des différents protagonistes n’en est pas moins remarquablement bien travaillée, quel que soit le camp dans lequel ces compagnons d’infortune se trouvent.

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Loin de n’être qu’une épopée moralisatrice dans le grand Ouest, Hostiles traite en effet avec justesse aussi bien des traumatismes de la guerre que de la condition indienne, voire, en creux, féminine. De Wounded Knee à la guérilla Comanche, rarement un western avait abordé avec autant d’intensité l’horreur de la conquête. Meurtris, les héros de cette tragédie errent dans un pays au demeurant vide et où les cultures se croisent, se heurtent, se blessent, mais peinent à se mêler. Du Français Thimotée Chalamet à l’afro-américain Jonathan Majors, tous observent leur destin se défiler et traverser les grandes étendues de l’Ouest ; l’écriture en miroir des traumatismes subis par la civile Rosamund Pike et des violences faites aux Indiens permet de faire converger le récit vers un ultime affrontement haletant, un dernier rendez-vous avec la barbarie et la mort. On ne chevauche pas dans cet Ouest là, on s’égare.

Profondément pessimiste et marqué par les conflits humains, Hostiles n’en garde pas moins un leitmotiv humaniste qui peine à se faire entendre en bout de réalisation, tant le bruit sourd des fusils n’a de cesse de rappeler le spectateur à la sauvagerie conquérante de l’Ouest. En reste que l’on retiendra avec une émotion certaine les poignées de main et les franchissements culturels, qu’ils soient linguistiques ou rituels. Sans pour autant faire amende honorable, le héros du film rend crédible son chemin de croix qui s’achèvera dans la mélancolie d’un regard dépassé à la fois par une brutalité pourtant embrassée, ainsi que par une modernité dissonante. Cooper interroge la place de son héros dans une société bâtie sur les massacres qu’il a lui-même ordonnés, rendant par là-même son vœu de rédemption tout à fait ambigu ; embrasser la culture indienne lorsqu’il s’agit d’achever son ennemi peut sembler bien dérisoire face aux horreurs des années de service militaire.

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Véritable purgatoire fait de plaines et de déserts, le grand Ouest étasunien retrouve de sa superbe devant la caméra de Scott Cooper qui signe ici un western funèbre mais pourtant emprunt d’un sursaut humaniste salutaire. Là où The Revenant dépoussiérait le Sublime, Hostiles met en scène l’âpreté des rapports humains, sublimée par un casting irréprochable qui offre au genre un morceau de bravoure des plus admirables.

Vincent Bornert

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