– Tom Ford ; 2017 –
Second long-métrage de Tom Ford, Nocturnal Animals est un thriller psychologique puissant et maîtrisé. Styliste, acteur et désormais réalisateur, le Texan n’a de cesse d’étoffer sa carrière, qui trouve sans aucun doute un point d’orgue dans sa dernière œuvre. Portée par les performances millimétrées de Jake Gyllenhaal et Amy Adams, Nocturnal Animals est avant tout la réalisation envoûtante d’un esthète exigeant, qui fait état d’une réelle maestria des outils cinématographiques.
Véritable réflexion sur la lecture et l’écriture, Nocturnal Animals se construit sur une mise-en-abyme très bien menée qui permet de lier deux temporalités dont le point de convergence réside dans le propos principal du long-métrage, l’identification. La narration, qui gravite autour du personnage d’Amy Adams, lectrice du roman de son ancien compagnon, ne saurait trouver sa force ailleurs que dans ce jeu intimiste qui tient en haleine le spectateur. Mais si cette liaison des deux récits permet en effet d’accroître la force de l’œuvre, on peut toutefois reprocher à Tom Ford de privilégier la fiction, celle de l’œuvre littéraire, bien plus marquante. En effet, c’est ici que le thriller trouve tout son sens, autour de l’histoire d’un père de famille agressé, à qui l’on enlève sa femme et sa fille. Tom Ford révèle alors un véritable talent pour les scènes de tension, nous proposant une séquence angoissante, presque asphyxiante. Le réalisateur américain arrive dès lors à saisir son spectateur au terme d’une course-poursuite nocturne haletante, créant par la même un sentiment de malaise latent, lui-même capable de mettre en place un jeu d’identification entre le spectateur et le personnage principal.
Malgré la tension entre les temporalités, ce récit fictif permet au long-métrage de conserver une certaine linéarité qui fait presque office de leitmotiv et maintient le spectateur en haleine. On pourrait alors reprocher au réalisateur la construction d’une romance contemporaine bien moins entraînante, qui ne trouve d’intérêt qu’au cœur de la thématique de l’identification, ainsi que dans son dénouement. Ce dernier se révèle finalement assez ambivalent : le spectateur peut à la fois le lire comme un défaut d’écriture, mais aussi comme l’aboutissement d’une vengeance, théorie rendue possible par le jeu d’identification. En effet, si la fiction porte bien sur cette thématique essentielle, le jeu d’identification ne permet-il pas de transposer cette même vengeance dans la narration contemporaine ? Cette dernière, inscrite au cœur de thèmes comme l’art et la mode, prend alors une ampleur nouvelle, dépassant la simple idée du constat d’une vie ratée pour le personnage d’Amy Adams.
Focus Features
Il est par ailleurs intéressant de s’interroger sur les thèmes de l’art et la mode, qui semblent intimement liés à l’obsession formelle dont fait état la réalisation de Tom Ford. Celle-ci n’est à ce propos pas sans rappeler celle de Nicolas Winding Refn, et plus particulièrement la dernière œuvre de ce dernier, The Neon Demon. Dès le générique, le spectateur est à même de relever ce parallèle entre les deux réalisateurs : jouant sur les contrastes, le styliste américain œuvre ainsi à repousser les normes esthétiques au cours d’une scène d’ouverture dont les effets visuels semblent s’inspirer de l’écran titre de la réalisation de son homologue. On retrouve par ailleurs les acteurs Karl Glusman et Jena Malone, qui étaient à l’affiche de la dernière réalisation de NWR. D’autre part, la gestion de la lumière chez le réalisateur texan n’est également pas sans rappeler celle du réalisateur danois, notamment en ce qui concerne la colorimétrie mais aussi les jeux de clair-obscur, en témoignent certains plans qui, finalement, semblent même réminiscents de l’intégralité de la trilogie esthétique de NWR. On retrouve en outre la même emphase sur les yeux bleus dans Nocturnal Animals que dans l’œuvre du Danois.
Par ailleurs, l’intérêt de Tom Ford pour l’esthétisme de sa réalisation semble aussi faire écho à l’œuvre de Denis Villeneuve, notamment dans sa façon de filmer le ciel, qui n’est pas sans rappeler certains plans de Sicario. Ces réminiscences démontrent par la même que Tom Ford est un réalisateur non seulement talentueux, mais aussi méticuleux et passionné, qui parvient à ériger un thriller intelligent et immersif.
Focus Features
Au-delà des simples analyses formelle et scénaristique, il est également nécessaire de s’interroger sur le symbolisme qui ponctue Nocturnal Animals. Si la structure et le scénario peuvent conduire à l’égarement du spectateur, il semble primordial d’aborder l’œuvre d’un point de vue symbolique pour éclaircir certaines zones d’ombre. Ainsi, la position du personnage de Jake Gyllenhaal dans la fiction peut paraître effacée face à la situation dramatique mais n’est-elle pas finalement celle d’une proie à la merci d’animaux nocturnes, de prédateurs ? Cet effacement exacerbé semble alors insurmontable avant que ne se mette en branle la quête de vengeance, soutenue par le personnage de Michael Shannon, qui apporte une certaine touche d’ironie grinçante au récit. L’ironie se donne aussi à lire dans le refus d’une écriture biographique, qui se mue finalement en lecture de soi pour le personnage d’Amy Adams, qui va jusqu’à apposer le nom de son ancien compagnon sur le personnage que ce dernier a écrit.
Finalement, Nocturnal Animals est le résultat de la vision esthétique de Tom Ford, qui vient se poser lentement sur un fond à la fois sombre et bien mené. Ainsi, entre réalisation soignée et scénario intelligent, l’œuvre du réalisateur est une réussite totale qui parvient à saisir l’intérêt mais aussi les émotions de son spectateur afin de le faire non seulement frissonner mais aussi douter, lui-même pris dans ce subtil jeu de mise en abyme.
Vincent Bornert
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