– Matt Ross ; 2016 –

Le propos est original : Ben et Leslie ont élevé leurs enfants en pleine nature, désireux de les couper d’un environnement jugé hostile qu’est la société américaine actuelle. Ce choix radical leur a permis de construire une utopie à petite échelle, celle d’une famille isolée et autosuffisante, éduquée à force de livres et de débats, entourée d’amour et d’entraide. Seulement voilà, toute utopie a ses travers et ce petit paradis finit par se fracturer lorsque la bipolarité de Leslie la conduit au suicide. Esseulé, Ben doit désormais assumer seul la responsabilité des siens et tenter de maintenir un monde qu’il a construit pierre par pierre depuis une décennie.

Les premières scènes du film sont pleines d’énergie, animée par la jeunesse de ses protagonistes. Toute une famille se meut en harmonie, vivant des fruits de son travail, se développant dans l’amour et la soif de savoirs. Ben (Viggo Mortensen, d’une justesse frappante), veille sur tout ce petit monde avec affection et autorité, père consciencieux et exigeant qui a rejeté la société depuis bien longtemps. Remplacer Noël par la célébration de Noam Chomsky, apprendre à ses enfants à combattre à l’arme blanche mais aussi à aiguiser leurs esprits en ne leur épargnant aucune vérité, font partie des résolutions appliquées avec ferveur par ce père-gourou. Captain Fantastic nous livre ce quotidien dans des scènes intimes, drôles, attachantes mais aussi particulièrement dérangeantes. Une des forces du film est de naviguer en eaux troubles, de laisser transparaître un malaise dans cet apparent paradis. On remarque bien vite les failles du système mis en place par Ben, tant dans les relations qu’il a tissé avec ses enfants que dans la manière de gérer leur vie. À force de conviction, ce père destructeur a enfermé les siens dans un univers hermétique et anxiogène, les privant de l’ouverture et de l’autonomie qu’il entendait leur conférer.

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Mars Films

À l’image de ses actes, Ben se révèle également être un personnage paradoxal. Père aimant et dévoué, il n’en demeure pas moins un homme borné et nocif pour ses proches. Viggo Mortensen arrive très bien à camper ce personnage ambigu pour qui l’on éprouve tour à tour détestation et empathie. Ayant rejeté sans concession le monde auquel il appartenait, ce cinquantenaire est finalement obligé de retourner à nouveau à la société, pour le bien-être de ses proches. Ce retour ne se fera pas sans accrocs et protestations, agrémenté d’un rengaine écolo-gaucho qui en finit par devenir insupportable.
Malheureusement pour son film, Matt Ross agit de la sorte avec beaucoup d’éléments narratifs de son récit, enfonçant à grands coups des portes ouvertes et insistant avec lourdeur sur certains détails auparavant accrocheurs : l’originalité de cette famille inadaptée, la drôlerie et l’innocence de ses enfants, le discours politique du clan… Autant d’éléments qui promettait un film indépendant plein de fraîcheur et d’anticonformisme, finalement noyés dans un discours attendu, larmoyant et bien-pensant qui dessert sa narration et le jeu de ses acteurs. Quitte à enlever quelques scènes et aventures désastreuses, on aurait aimé creuser un peu plus les tensions inhérentes à cette famille exceptionnelle et stopper pour quelques instants cette frénésie verbale et musicale.

Captain Fantastic a de nombreux mérites : sa photographie lumineuse nous offrant des plans d’une grande beauté, sublimée par l’intimité que l’on partage avec cette ribambelle d’attachants bambins ; l’énergie et la justesse de jeu d’une grande partie de son jeune casting – George Mackay et Nicholas Hamilton en tête -, son effet feel-good qui nous donne du baume au cœur et la place importante qu’il laisse aux enfants en terme de narration et de jeu. Et Viggo, évidemment. Toutefois, son manque d’originalité en terme de scénario est une déception pour un film qui s’annonçait très prometteur, dont on attendait une profondeur et de puissantes émotions malheureusement absentes de l’écran. Un film léger donc, à savourer sans trop d’exigence, pour le plaisir de retrouver Viggo, trop rare sur nos écrans, et une petite famille d’une innocence et d’un positivisme communicatifs.

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Mars Films

Camille Muller

 

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