– Philippe Falardeau ; 2017 –
Alors que le paysage cinématographique a été marqué par une expansion significative du genre biographique ces dernières années, une volonté de réécrire l’histoire semble se dégager de celle-ci. Le biopic est ainsi devenu un genre à part entière et se décline dans des formes variées. Il est toutefois curieux d’observer la résurgence de la romance au cœur de ce genre nouveau qui semble pourtant clamer sa fidélité au réel. Cette subversion du genre en vient alors à poser la question de la validité de l’aspiration biographique elle-même. Ne s’agirait-il plus que d’un prétexte scénaristique ? L’œuvre que propose le réalisateur québécois Philippe Falardeau s’inscrit quant à elle entre deux aspirations de genre : le récit biographique et le film de boxe. Opérant un glissement de « raging bull » à « bleeding bull », le réalisateur expose des intentions particulières et assumées afin de retranscrire à l’écran la vie d’un inconnu presque illustre, Chuck Wepner. Entre romanesque et biographie, Outsider se veut le récit d’une vie entre ombre et lumière, entre vacarme et silence mais surtout marquée par l’ingénuité d’un homme qui ne savait qu’encaisser.
« The real Rocky. »
Parce qu’il s’ouvre sur une citation de Rocky, le long-métrage de Philippe Falardeau semble dès son incipit marquer son intention première de lier le destin de son protagoniste à celui du boxeur incarné par Sylvester Stallone. Toutefois, le plan d’ouverture laisse cette question en suspens pour affirmer son aspiration à une linéarité pourtant inscrite au cœur d’une structure narrative circulaire. C’est d’ailleurs à travers cette structure singulière qu’émerge la véritable vocation narrative du récit cinématographique, puisqu’il s’agit ici de dresser l’itinéraire d’un loser en quête de reconnaissance. Il est à ce propos intéressant d’interroger le titre sous lequel a été distribuée la réalisation en France, le terme d’ « outsider » interrogeant un rapport de force de Chuck Wepner à Muhammad Ali, mais aussi de Chuck Wepner au monde. En revanche, le titre originel Chuck souligne davantage l’intention de Falardeau de réhabiliter la mémoire d’un boxeur oublié au parcours tumultueux.
De fait, de la narration se détachent plusieurs épisodes symboliques du parcours problématique du boxeur étasunien. Ainsi deux événements semblent se démarquer nettement de cette structure narrative : les passages qui gravitent autour du combat face à Muhammad Ali, et ceux qui entourent la production de la saga Rocky par Sylvester Stallone, inspiré par Chuck lui-même. Mais si l’histoire du boxeur est tout à fait singulière, si ce n’est surprenante, il faut néanmoins souligner que Falardeau ne parvient pas à se démarquer des structures classiques du genre et nous propose donc une narration pyramidale, entre ascension, disgrâce et rédemption. Outsider peut également sembler échouer lorsqu’il s’agit de transcender son sujet, la boxe, puisqu’ici aussi la réalisation semble stagner dans les carcans du genre. En revanche, ne peut-on pas relever une certaine subversion de ce même genre, Falardeau faisant le choix de se déprendre de l’évidence du sujet afin de proposer un portrait plus riche de l’ « hémophile de Bayonne » ? Une hypothèse rendue d’autant plus crédible par le travail du scénariste Jeff Feuerzig qui, en 2011, avait déjà réalisé un documentaire dont le sujet principal était l’histoire de Chuck Wepner, de ses 15 rounds contre Ali à son rôle de modèle pour Rocky. Ici, le combat de 1975 n’est qu’un élément de l’intrigue et est rapidement abordé, n’envahissant jamais réellement la narration. Par ce choix, Falardeau repousse l’événement au second plan afin de consacrer davantage l’aspiration biographique de son long-métrage, à l’image notamment du travail de Scorsese sur Raging Bull.
« Stay up Chuck, stay up! »
Ainsi, au-delà de n’être qu’un simple portrait, Outsider se révèle être un biopic au cœur duquel s’opère néanmoins la résurgence du romanesque, à même de conférer une essence cinématographique singulière à l’œuvre. De plus, cette apparition du romanesque s’affirme par les qualités méta-cinématographiques de l’œuvre de Falardeau qui traite avec ironie l’aspiration biographique de sa réalisation. En effet, Chuck en vient même à se penser en héros de cinéma, conforté dans cette idée par l’anonyme star hollywoodienne qu’il est devenu sous les traits de Rocky Balboa. La référence dépréciative aux Oscars qui ont permis le succès de Rocky est également à considérer à travers ce prisme d’une réflexion sur le médium cinématographique lui-même.
Est également à considérer une maîtrise appréciable dans la réalisation, notamment traduite par la mise en scène d’une atmosphère particulière, celle de la fin des années 1970, à travers une œuvre à la fois musicale et très picturale. Falardeau parvient en effet à transmettre une esthétique singulière en construisant la première partie de son récit à l’image d’un document d’époque, en insérant par ailleurs quelques images d’archives. Il en ressort dès lors un sentiment de légèreté, aussi bien à l’image que dans le ton de la réalisation. L’humour s’inscrit ainsi en filigrane tout au long de l’intrigue et permet d’aborder certaines thématiques difficiles de la vie de Chuck sous un angle qui ne se veut jamais moralisateur. L’issue même du biopic est porteuse de cette aspiration à la légèreté et n’est en ce sens pas sans rappeler l’ironie, ici moins caustique, du Loup de Wall Street de Martin Scorsese.
« That guy could take a punch. »
En abordant la trajectoire ambivalente de Chuck Wepner, Falardeau parvient à mettre en lumière un homme touchant, presque candide. Bien que le boxeur en vienne à se noyer dans sa relation aux femmes et à la drogue, il laisse toutefois transparaître une évidente sympathie, notamment traduite par une pudeur touchante, à l’image de la séquence du combat face à Ali, lorsqu’il se refuse à retranscrire la violence des paroles de son adversaire. L’omniprésence de la voix narrative, qui semble toutefois parfois trop insistante, permet d’aborder le personnage dans toute sa dimension tragique et vient souligner la belle performance de Liev Schreiber. Saisissantes de sincérité, les aspirations du boxeur à la gloire, même éphémère, et à la reconnaissance sont également à relever dans le mimétisme du boxeur lorsqu’il aborde son œuvre-madeleine, Requiem pour un Champion. Ici encore la réalisation s’empare du médium cinématographique, intimement inscrit au sein de l’œuvre. La réflexion entre cinéma et réalité est également filée par le rapport de Chuck à l’écran lorsqu’il apparaît pour la première fois à la télévision. Ainsi la sensibilité du boxeur est-elle à relever, même noyée dans le grotesque de sa fin de carrière, dans le pathétique de ses relations amoureuses, et dans la maladresse de sa prose poétique.
En définitive, Outsider est un biopic touchant et honnête qui parvient à traduire la candeur d’un homme dépassé par le réel et sa notoriété soudaine. Clairement exposés, les enjeux de la narration qui émergent après la scène-pivot de la discothèque se déclinent fidèlement au projet narratif énoncé afin de consacrer la réussite d’une narration emprunte d’humilité. A l’image du boxeur lui-même, la réalisation de Philippe Falardeau demeure légère, comme enivrée par son projet de réhabilitation mémorielle d’un combattant qui a finalement su encaisser les coups du succès. Sans réelle fausse note, Outsider parvient à s’imposer comme un biopic divertissant, marqué par un romanesque qui, bien qu’il soit parfois grandiloquent, ne vient pas trahir la candeur du portrait de Chuck Wepner, ni celle de sa quête identitaire.
Vincent Bornert
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