Premier long-métrage de Trey Edward Shults, It Comes at Night est un thriller diablement efficace. Il nous plonge dans un futur proche dévasté par un mystérieuse maladie et dans lequel Paul et sa famille tentent de survivre, reclus du reste du monde. Une apparente sécurité qui va être troublée par l’arrivée de Will, jeune rescapé à la recherche de protection pour lui, sa femme et son fils. Une apparition qui fera plonger le fragile équilibre construit par Paul et les siens dans le chaos.
Immédiatement parachuté dans l’intrigue, le public découvre la vie de Paul, Sarah et leur fils Travis de dix-sept ans. Une famille qui a trouvé refuge au milieu des bois après qu’une mystérieuse pandémie se soit abattue sur le monde, plongeant l’humanité dans le chaos le plus total. Une réalité à laquelle on se retrouve tout de suite confronté alors que le père de Sarah est contaminé par le virus, tenu à l’écart des siens dans une pièce confinée et condamnée, conduit à la mort par son beau-fils et son petit-fils. D’emblée, le ton est donné : celui d’un quotidien dominé par la peur et régi par un mode de vie strict soumis au regard vigilent de Paul (Joel Edgerton). Un père de famille autoritaire et brut que Travis a bien du mal à comprendre, le jeune adolescent étant encore marqué par la naïveté et un réel sens de la compassion. Un héros qui observera avec horreur le corps de son défunt grand-père partir en fumée, rongé par les flammes pour empêcher la maladie de frapper les siens. Une horreur à laquelle succède rapidement la torpeur, réaction de protection face aux traumatismes successifs vécus par les trois membres de cette famille. Des héros dont on découvre progressivement le quotidien et les automatismes inébranlables, des règles qui se montrent nécessaires pour préserver à la fois la santé mentale mais également la sécurité de cette maigre communauté. Une conduite stricte qui se révèle toutefois avoir un lourd prix qu’est celui de l’isolationnisme le plus total faisant de l’Autre une menace évidente. Tout un mode de vie qui se trouve perturbé par l’arrivée de Will, survivant à la recherche de nourriture pour subvenir aux besoins de sa femme et de son fils. L’irruption du jeune homme dans le quotidien de Paul et des siens déclenche immédiatement l’instinct de survie des trois protagonistes qui traitent sans ménagement ce nouvel arrivé. Rongée par la peur, la famille finira par donner sa chance à l’intrus, changeant pour toujours le cours de leurs destins respectifs.
Construit autour d’un format court – seulement 1h31min – It Comes at night manie situations spatiale et temporelle avec habileté, le récit étant concentré à la fois dans un quasi huis-clos délimité par la lisière menaçante de la forêt mais également dans une temporalité limitée à quelques jours seulement. Deux contraintes qui obligent le metteur en scène à une redoutable efficacité et qui placent immédiatement le spectateur dans une atmosphère sous tension. Au-delà de la forêt toute proche : un gouffre, l’inconnu et une mort certaine ; à l’intérieur de la maison : les cauchemars, la méfiance, la peur. Le décor de ce thriller horrifique est planté dès les premières minutes du film et ne cessera de faire monter un sentiment d’angoisse et d’urgence dans l’esprit du spectateur tout comme dans celui des protagonistes. Une ambiance anxiogène fortement influencée par la maison elle-même, à la fois refuge et prison pour les deux familles qu’elle habite. Un lieu fait de couloirs étroits et de cachettes invisibles et dont la seule issue est préservée derrière une porte peinte de rouge, solidement fermée à clé. Coupés du dehors, les personnages sont également coupés de toute luminosité naturelle, obligés de vivre à la lumière des lampes à pétrole permettant au directeur de la photographie Drew Daniels de déployer tout son talent. Une ambiance lugubre construite sur un méticuleux travail de clair-obscur qui renforce le sentiment d’étouffement et de claustrophobie véhiculé par l’œuvre. Des tons vacillants qui se prêtent parfaitement à l’univers cauchemardesque expérimenté par Travis et qui contribuent à construire le décor horrifique de chacune de ses nuits. Car It Comes at Night se nourrit des rêves de son héros, rongé par la peur et la disparition progressive des siens emportés par la maladie. Un adolescent dont chaque nuit est rythmée par un nouveau récit terrifiant et dont les scènes représentent de véritables épreuves pour le public. L’œuvre plonge à de multiples reprises dans ces terres imaginaires et joue avec habileté avec la frontière séparant les cauchemars de la réalité. Des rêves créés par l’esprit humain et qui se révèlent souvent bien plus douloureux et effrayants que le réel.
C’est dans sa capacité à retranscrire la lente progression de la folie dans l’esprit humain qu’ It Comes at night finit de nous convaincre de son efficacité. La paranoïa finit par ronger la cohabitation en premier lieu heureuse entre les deux familles, faisant de chaque dialogue un interrogatoire ou un moyen de séduction en vue de préserver sa sûreté. Une tension palpable et grandissante finit par pousser chaque communauté à l’isolement jusqu’à ce que la maladie refasse surface à l’intérieur du refuge, déclencheur dramatique du récit. L’isolement auquel chaque famille s’était soumise finira par voler en éclat et conduira à une situation de non-retour s’achevant sur un climax d’une violence inouïe. La noirceur du film n’est pas à sous-estimer, l’œuvre se révélant particulièrement puissante dans sa dernière partie. Alors que la partie précédente construisait tout un back-ground narratif et parsemait son récit de nœuds laissés en suspens, celle qui lui succède livre une décharge émotionnelle d’une puissance dévastatrice. Toutes les vannes sont lâchées et laissent place aux instincts les plus primaires qui viennent balayer toute idée de morale. « Que faire pour préserver sa vie et celle des siens ? » semble être la question primordiale qui sera dénouée dans ces derniers instants. Un dénouement tragique qui démontre une fois de plus que le véritable danger rongeant les protagonistes est davantage la peur de l’Autre que la maladie elle-même, fléau qui tire parti des dissensions déchirant ses victimes.
Que dire de plus sinon qu’It Comes at Night est LE film à voir en cette semaine de sortie..? Saisissant, esthétiquement beau, fondamentalement malsain, ne manquez pas cette petite pépite qui devrait vous offrir quelques cauchemars…
Camille Muller
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
Les filles d’avril de Michel Franco : combat de mères
Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)