– Mother ; Darren Aronofsky (2017) –
Depuis son premier long-métrage, Pi, Darren Aronofsky est parvenu à imposer un style graphique marquant et hautement original. Reconnaissable entre tous, son travail se concentre le plus souvent autour des motifs de l’angoisse et de la frontière entre rêves et réalité. Que ce soit dans Requiem for a Dream ou même dans le récent Noah, le réalisateur parvient toujours à nous guider vers l’anxiété et le malaise, si ce n’est le mal-être. Habitué à mettre à mal son spectateur, Aronofsky prolonge ici, avec Mother!, ce cheminement de la torture psychologique.
Motif récurrent du cinéma d’Aronofsky, le sentiment de clôture est encore une fois omniprésent dans Mother! et constitue ici l’enjeu majeur de la réalisation. Livrant un projet éminemment claustrophobe, le réalisateur met l’accent sur l’opposition entre extérieur et intérieur, faisant rapidement de la demeure des personnages principaux un lieu oppressant. Notons toutefois l’échec du réalisateur lorsqu’il souhaite introduire l’ambivalence de cette même maison ; alors qu’Aronofsky cherche à la dépeindre comme un lieu idyllique en début de narration, on peine à croire à ce cadre, notamment du fait d’un premier plan explicite qui pose les bases d’une dystopie. Il faut néanmoins souligner que l’extension progressive de l’angoisse fonctionne, elle, à merveille, le réalisateur maîtrisant une nouvelle fois des codes qui lui sont devenus propres. Pour ce faire, Aronofsky s’appuie principalement sur un cadre serré et l’usage de la caméra-épaule essentiellement focalisés sur Jennifer Lawrence, dont la performance s’amenuise malheureusement au cours de l’œuvre. Le sentiment de clôture est par ailleurs renforcé en ce sens qu’Aronofsky joue de la matérialité de la maison à travers un travail sonore remarquable, ce qui, à terme, permet au spectateur de ressentir la pression exercée par ce cadre qu’est la maison. On regrettera toutefois que le réalisateur ait choisi de mêler les tons et adopte parfois un trait comique, procédé plus exaspérant que créateur de rebondissements.
La photographie très sombre de Mother! contribue, elle aussi, à l’installation d’une atmosphère lourde, et ce malgré les fondus blancs qui viennent entrecouper par trois fois la réalisation. Ces derniers participent cependant de la mise à mal perpétuelle du spectateur, qui se voit ou visuellement agressé, ou assailli par l’obstruction auditive récurrente. A cela vient s’ajouter le grain de l’image, qui confère à l’ensemble de la réalisation une esthétique relativement grinçante et qui situe alors l’action entre modernité et passé. Naturellement, l’atmosphère pesante se mue en une paranoïa suffisamment convaincante dans la première moitié de la réalisation, mais qui s’essouffle finalement. Le retournement de l’empathie que l’on peut ressentir pour le personnage féminin semble poser problème, puisqu’au cœur d’un long-métrage qui place pourtant la figure féminine au centre de son intrigue. Aussi pourrait-on reprocher à Darren Aronofsky de substituer au personnage féminin celui incarné par Javier Bardem ; ce choix de réalisation nous amène malheureusement à penser que le réalisateur échoue à véritablement mettre en scène la figure de la mère, qui se laisse finalement surpasser par le personnage masculin.
Ce renversement de la focalisation n’est toutefois pas une simple erreur d’appréciation, puisqu’il répond à l’une des problématiques principales de la réalisation ; en effet, Javier Bardem incarne un personnage qui ne sera nommé que par le pronom « Him », laissant ainsi deviner son caractère divin. De plus, il est présenté comme un créateur, et se veut bien plus intriguant que le personnage de Jennifer Lawrence, devenue simple artisan de la création divine. De fait, ces quelques réflexions nous amènent à considérer Mother! comme une nouvelle quête spirituelle de la part d’Aronofsky, répondant en ce sens directement à son dernier long-métrage, Noah. En voulant à nouveau explorer les affres de la création biblique en mettant en scène un pseudo-Eden, Aronofsky se perd malheureusement dans sa quête métaphysique et va même jusqu’à proposer un final somme toute grotesque. L’arc narratif circulaire ne sert par ailleurs en aucun cas le propos du réalisateur et se révèle, lui aussi, sans subtilité aucune.
Par ailleurs, il faut souligner l’ambiguïté réelle de cette fin de réalisation qui vient remettre en question l’ensemble. En effet, le personnage de Javier Bardem est présenté à la fois comme créateur et mari, voire même comme fils, Aronofsky cherchant en effet à mettre en scène une figure maternelle à travers le personnage de Jennifer Lawrence. Le caractère œdipien de la relation vient de ce fait ajouter une forme de confusion à une réalisation déjà bien floue. Notons tout de même que les réflexions sur la figure maternelle sont assez riches et l’exploration de sentiments comme celui de l’amour maternel, de l’abandon ou de la jalousie ponctuent la réalisation de manière convaincante, jusqu’à trouver leur paroxysme dans la douleur physique. Mais on regrettera, encore une fois, qu’Aronofsky délaisse des thématiques subtiles comme celle de la dialectique entre viol et intimité, au profit d’idées grossières, à l’instar de la mise en scène d’un fanatisme religieux. La fin de Mother! est à ce propos une succession d’idées toutes plus grotesques que les autres, succession calquée sur une exploration d’une réplique pauvre de l’Enfer de Dante. Ce final tonitruant se fait alors le symbole de l’échec du projet psychologique, balayant en bout de course la frontière entre rêves et réalité pour basculer définitivement du côté du fantasme.
En définitive, avec Mother!, Darren Aronofsky nous offre une réalisation qui s’avère relativement convaincante lorsqu’elle installe et sa narration, et son cadre, mais qui s’égare finalement au sein d’un projet métaphysique et spirituel somme toute dispensable, alors même que le réalisateur de The Fountain introduit des réflexions et des motifs autrement plus intéressants. On relèvera tout de même que le cinéaste excelle encore une fois lorsqu’il s’agit d’installer une atmosphère angoissante et ici proprement claustrophobe. Mais l’on retiendra que Mother! échoue totalement dans le traitement de son issue, arrêtant par là-même l’échec du projet initial.
Vincent Bornert
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