-Kaouther Ben Hania ; 2017-
Étudiante à Tunis et résidente d’un foyer pour jeunes filles, Mariam profite de sa soirée avec ses amis et fait la rencontre du beau Youssef. Un homme avec qui elle décidera de s’éclipser pour discuter sur la plage, savourant cette douce nuit semble-t-il estivale. C’est sur cette même plage, auparavant lieu d’un amour naissant, que la jeune femme subira la violence d’une troupe de policiers et se fera violer par deux d’entre eux à l’arrière d’une voiture de patrouille. Suite à cette agression, Youssef fera tout pour soutenir la victime et se dresser contre un État qu’il juge depuis longtemps corrompu et inhumain.
Ce qui frappe d’emblée dans La Belle et la meute, c’est le style hyper-réaliste adopté par sa réalisatrice Kaouther Ben Hania qui rapproche l’œuvre d’un documentaire. Un long-métrage à valeur de témoignage qui s’appuie sur l’ouvrage de Meriem Ben Mohamed, récit à la première personne repris dans ce film romancé. Pour traduire ce témoignage, la metteure en scène tunisienne s’est basée sur un découpage en neuf plans séquences qui confère à l’œuvre tout son réalisme et rappelle sans équivoque le style du reportage. Une technique qui nous plonge résolument dans le film et crée un lien intime avec le personnage de Meriam (Mariam Al Farjani) dont on observe l’irrémédiable plongée aux enfers. Car La Belle et la meute s’apparente à une lente mise à mort de sa victime, elle qui subit une violence tant physique que psychologique de la part de ses nombreux assaillants. Au départ terrifiée et fuyante, la jeune femme se retrouve soutenue par Youssef, compagnon de route tragique fermement opposé au gouvernement tunisien. Un homme ayant participé à de nombreuses révoltes et dont la posture et l’engagement font échos aux troubles agitant le pays depuis les épisodes du Printemps arabe.
Replaçant l’œuvre dans un contexte politique fort et perturbé, Kaouther Ben Hania se concentre toutefois sur le destin dramatique de sa protagoniste et dénonce par la même occasion le statut de la femme en Tunisie. Un sexe « faible » soumis à l’autorité masculine et ici totalement bafoué par ceux qui devraient assurer sa protection. Une femme privée de ses droits par des forces de police corrompues, empêtrée dans un système à la complexité et à la désorganisation sans bornes. Un labyrinthe tant métaphorique que physique matérialisé à la fois par les dédales des hôpitaux et des postes de police, arpentés par des armées de zombies assoiffés de chair, mais aussi par la complexité des systèmes administratif et juridique nationaux. Cette désorganisation globale, véritable épée de Damoclès pesant sur la tête de Meriam, représente une protection pour les autorités qu’elle symbolise. Pour cause : ne pas réussir à atteindre son ennemi, c’est le laisser en paix. Malgré cet hermétisme, Mariam et Youssef ne cesseront de se dresser contre leur agresseur, multipliant les tentatives pour briser cette dictature du silence et du secret. Des essais orchestrés autour d’une multitude de chapitres dont l’accumulation ne peut que désespérer, elle qui représente le long cheminement, parsemé d’échecs, de son héroïne. Un combat qui cause l’écœurement des protagonistes et du public, soumis à cette violence perpétuelle qui nourrit une atmosphère malsaine et lourde.
Récit de nombreuses désillusions, La Belle et la meute marque également la naissance d’une conscience politique et féministe inébranlable en la personne de Meriam. Une jeune femme dont la détermination grandissante ne cessera de secouer un système gangréné par la malhonnêteté et la cruauté. Forgée après tant de coups durs, l’héroïne manipule à son tour, augmentant son emprise sur ceux qui ont déshonoré son corps et son esprit. Son acharnement nous élève nous aussi, spectateurs auparavant sujets aux mêmes manipulations que la victime, laissant inconsciemment nos ennemis mettre à mal nos convictions premières. Ce long récit initiatique – immensément douloureux et tragique – voit émerger une femme nouvelle dont l’affirmation de soi s’avère salutaire. Une héroïne au sens noble du terme, baignée dans des plans solaires qui offrent un soulagement – malheureusement partiel et temporaire – à un public épuisé. Une œuvre coup de poing, témoignage essentiel d’une histoire cruelle et injuste, malheureusement si récente.
Camille Muller
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
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Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)