– Samuel Fuller ; 1982 –
Invités dans le cadre du cycle « Le Monde est Stone » organisé par le Forum des Images en l’honneur et avec la collaboration du réalisateur Oliver Stone, les rédacteurs cinéma de Scotchés reviennent sur certains des plus grands classiques du cinéma américain.
Librement adapté du roman partiellement autobiographique de Romain Gary, Chien Blanc, White Dog se concentre sur l’événement principal du récit, à savoir l’adoption d’un berger allemand par l’écrivain et sa femme, l’actrice Jean Seberg, dans le Los Angeles de la fin des années 1960. Si l’auteur de La promesse de l’aube – œuvre qui a été adaptée au cinéma courant 2017 et dont on vous parlait juste ici – a participé au travail d’écriture du film de Samuel Fuller, force est de constater que peu d’éléments du roman originel ont fait le chemin du papier à l’écran. En outre, difficile de parler ici d’adaptation, tant l’esprit de Romain Gary s’efface au profit d’une narration qui perd très largement en finesse et en profondeur.
Keys (Paul Winfield) face au White Dog
Devenu berger blanc suisse, le berger allemand Batka devient le centre du récit alors qu’il n’est, chez Gary, qu’un moyen d’amorcer une réflexion plus large sur les États-Unis en crise, avant de devenir le fil rouge du roman. Samuel Fuller conserve certains éléments de Chien Blanc, en mettant en avant non seulement cette histoire singulière des chiens dressés pour attaquer les personnes noires, ainsi que la thérapie que Batka doit suivre au contact de Keys (incarné par l’excellent Paul Winfield), gardien dans un centre pour animaux de spectacle et déterminé à dresser ce chien meurtrier. Bien plus tourné vers le genre de l’horreur, en témoigne notamment l’angoissante bande-originale signée Ennio Morricone, White Dog se veut plus spectaculaire et occulte assez largement la question raciale, qui s’efface quelque peu est n’est alors plus qu’une interrogation en creux. Là où Romain Gary confronte les États-Unis à la crise qui fait imploser le pays entre 1965 et 1970, mentionnant aussi bien les émeutes de Détroit que la guerre du Vietnam (allant même jusqu’à faire glisser le récit dans les rues du Paris de mai 1968), Samuel Fuller se contente de nous narrer la rédemption de ce chien blanc ; le récit se complait dans le symbolisme qu’il semble estimer suffisant pour soulever pleinement la question du racisme, en témoigne notamment le choix d’un chien totalement blanc.
On retient tout de même une mise en scène soignée, qui permet de donner du relief à la relation entre la jeune actrice incarnée par Kristy McNichol et son chien, devenu ici lui aussi une bête de scène, comme les animaux qui l’entourent dans le refuge de Carruthers. L’idée principale du roman reste inchangée, dans la mesure où Samuel Fuller met lui aussi en avant les liens évidents entre éducation et racisme, bien que son choix de centrer le récit sur l’unique destinée du chien en fasse dans une certaine mesure un élément isolé des événements censés entourer la narration (à savoir les émeutes raciales).
White Dog : désigne les chiens policiers dressés pour attaquer les Noirs américains
Loin d’être mauvaise, la réalisation de Samuel Fuller se démarque tout à fait de l’œuvre de Romain Gary, malheureusement en perdant la finesse de cette dernière. White Dog parvient néanmoins à susciter une empathie singulière envers ce chien transfiguré en martyr, en figure d’innocence. Malheureusement, il en reste que Samuel Fuller passe ici à côté du génie d’Emile Ajar, se contentant de tronquer son récit pour en faire un scénario relativement fade.
Vincent Bornert
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