– Maxime Roy et Jeremy Trequesser ; 2018 –
Dans une ville en France (ok, c’est Paris mais qui ne dit pas son nom), une bande de potes se retrouve à une fête. Ces retrouvailles seront le point de départ de Même Pas Mal, film choral qui s’attachera à suivre les pérégrinations de chacun des personnages. Cependant derrière ce pitch très classique klapischien voire petits mouchoirdesques se cache un film beaucoup plus étrange qu’il n’y paraît.
Ce qui frappe d’emblée c’est que Même pas mal refusera constamment la bonne vieille baderne psychologysante générationnelle du film de potes et c’est ce qui le différencie fondamentalement des deux influences pré-citées. De fait, Même Pas Mal ne s’intéresse pas tant aux relations entre les personnages ou aux situations en elles-mêmes qu’aux errances, dans la ville et dans les esprits. Ce qui fait la proximité du film avec, pour le dire vite, un certain aspect du cinéma dit « moderne », c’est que les différents personnages qui nous seront présentés resteront à jamais des énigmes. C’est aussi ce qui lui donne sa beauté. Malgré un flot de paroles conséquent, les mots n’expriment jamais rien sur ceux qui les prononcent. Les psychologies, qu’on imagine fouillées, resteront pour la plus grande part, inexpliquées, et on a envie de dire que c’est tant mieux. On ne sait pas fondamentalement pourquoi untel et untel se disputent, ou pourquoi untel et untel n’ont pas réussi à se mettre en couple, ou encore pourquoi untel ne supporte pas sa fête d’anniversaire. Quelques éléments sont apportés, mais les déductions restent à la charge du spectateur. Paradoxalement, cette frustration, c’est ce qui les érige en quasi-objets de désirs pour le public et pousse à mieux vouloir connaître les différents membres cabossés de ce groupe, parce qu’ils sont attachants mais ne livrent jamais d’eux-mêmes, et le récit aidera à peine plus à comprendre le pourquoi du comment de leurs fêlures. Le personnage de Lucas notamment, foncièrement antipathique pendant la première séquence du film, devient au détour d’un seul regard un monstre déchirant de mélancolie agressive.
Les évènements s’enchaînent ainsi sans lien logique, osons même dire sans queue ni tête, tandis que le film erre et ne va pour ainsi dire nulle part, de même que ses personnages. On assiste ainsi à un enchaînement de situations, parfois incongrues, parfois dramatiques, que la caméra capte délicatement sans s’y incruster ou sans chercher à tirer des effets de sens, donnant une puissance documentaire aux images qu’on jurerait parfois prises sur le vif malgré quelques improvisations un peu forcées ou artificielles (la séquence de fête qui ouvre le film est peut-être son plus gros point faible). Ce qui fait qu’on aime à se perdre dans les méandres de cette œuvre qui semble ne rien raconter malgré son énergie, c’est que ce qui est au c(h)oeur du film, ce n’est pas son histoire, ni son image, ni sa mise en scène, ce sont ses personnages, aussi denses et impénétrables et pourtant aussi familiers que le peuvent l’être nos amis et nos proches. Un c(h)oeur, dans lequel on voudrait rentrer et apporter de soi, tant il bat fort malgré son désespoir.
Lino Cassinat
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