-Martin Zandvliet ; 2018-

Jared Leto devient un yakuza dans les années 50 à Tokyo pour le film Netflix The Outsider. Détruit par la critique US, ce film valait-il tant de haine ? Étrange projet que The Outsider. Racontant l’histoire d’un Américain prisonnier de guerre abandonné par son pays et rejoignant un gang de yakuzas à Tokyo, il est un pur film de commande passé dans les mains de plusieurs réalisateurs et ayant pressenti nombre d’acteurs principaux. Sentant probablement la galère arriver, les deux producteurs du film ont revendu les droits intégraux du film à Netflix pendant le tournage, après avoir obtenu Martin Zandvliet (remarqué pour Les Oubliés) à la réalisation et Jared Leto au dernier moment.

 

Photo Jared LetoOn dirait pas comme ça, mais Jared Leto n’est absolument pas le chef de la bande.

Tout cela peut sembler anecdotique, mais là réside peut-être l’explication quant à ce qui ne va pas dans ce film : il semblerait que personne n’ait cherché à prendre le projet à bras le corps. Ce manque d’implication a valu à l’oeuvre de se faire détruire assez sévèrement par la critique américaine, là où en réalité, si l’on omet quelques tics typiques et pénibles de production américaine se comportant comme un touriste en terre étrangère (comme par exemple la propension à faire parler les personnages du film en anglais alors qu’on est au Japon), The Outsider est correct. Tout autant qu’il est complètement oubliable.

photoReprésentation fidèle de la motivation générale de l’équipe  de production vis à vis du film

BON SÉRIEUX, QUELQU’UN VEUT LE FAIRE CE FILM OUI OU NON ?

Nul doute que le film ait été fabriqué par des gens compétents, la preuve en est que les acteurs, comme le style feutré et tout en retenue de Zandvliet font passer comme une lettre à la poste un scénario très convenu sur l’honneur, qui aurait pu être riche en images d’Épinal clichées et en maximes mongoloïdes explicatives, mais qui se contentera juste d’être beaucoup trop classique pour être vraiment efficace. L’ambiance et le style très distant du réalisateur permet en effet de nimber ses personnages de suffisamment de mystère pour que leurs mécaniques rouillées ne soient détectables que ponctuellement, aux environs des articulations narratives.

 

Photo Tadanobu AsanoParadoxalement, c’est le casting japonais qu’on sent le plus motivé pour faire ce film

En résulte un film calme, taciturne et élégant, à la photographie de très bonne facture voire presque belle, mais échouant globalement à installer durablement la tension sourde nécessaire pour que ce genre de récit fonctionne, une fois les agréables 10 premières minutes en prison envolées. C’est regrettable, car le concept de base avait vraiment le potentiel pour accoucher d’un polar noir et d’une ambiance prenante, en capitalisant vraiment à fond sur la désorientation culturelle à la fois du personnage principal, mais aussi du Japon en pleine occupation américaine, se remettant à peine de la déroute de la Guerre et du feu nucléaire.

On doit malheureusement se contenter de regarder Jared Leto voguer paisiblement de scène en scène sous la caméra d’un Martin Zandvliet qui sert la soupe avec compétence, mais sans conviction, et surtout, sans questionner son matériau. Au détour d’une scène de tatouage irezumi soignée, ou après un brutal coup de katana (le seul du film), on rêve ainsi que ces deux employés soient remplacés par deux artistes comme Michael Fassbender et Martin Scorsese, dont le dernier Silence prouve avec flamboyance qu’il aurait totalement pu être l’homme de la situation pour raconter cette histoire d’Occidental se frayant un chemin bon gré mal gré dans une culture qu’il ne pourra jamais comprendre totalement.

The Outsider est bien trop impersonnel pour raconter quoi que ce soit d’intéressant. Il aurait pu compenser en hystérisant son scénario et ses scènes d’action, mais fait le choix bienvenu de la retenue et de la tension, malgré le manque flagrant d’épaisseur du récit pour pouvoir prétendre réussir à y arriver correctement. Cela ne parvient clairement pas à rendre ce film ni bon ni mauvais digne d’intérêt, mais a au moins le mérite de le rendre poliment regardable, tout en rêvant à ce qu’il aurait pu être.

Lino Cassinat

Aucun vote pour l'instant

Et si vous nous donniez votre avis ?