– Claude Drexel ; 2018 –
C’est dans les contrées désertiques de l’Arizona que nous convient Claude Drexel et Sylvain Leser, réalisateur et photographe venus faire le portrait d’une Amérique reculée à un mois des élections présidentielles. Interviewant les habitants de la petite ville de Seligman et des lieux-dits environnants, les deux hommes nous livrent un portrait hétéroclite de ce coin perdu des États-Unis dont les représentants semblent s’aligner sur un point fondamental : la défense du Second amendement.
Superposé au cadavre d’un cerf crucifié et dépecé, le titre rouge pétant du dernier film de Claude Drexel pose d’emblée l’une de ses principales problématiques qu’est l’usage des armes à feu aux États-Unis. Utilisées pour chasser – au choix, les animaux ou les migrants venus dans cette cité « illuminée par la lumière de Dieu » – ou se défendre – des flics incompétents, des tueurs de masse ou des intrus venus menacer un propriétaire ; ces armes sont également au centre des élections américaines de 2016. Menacé par Hillary Clinton, le Second amendement tient au cœur des habitants interrogés par le duo Drexel-Leser, eux qui voient en ce droit une liberté immuable, voire un devoir de citoyen capable de défendre son prochain envers une éventuelle menace. Nombreux sont ceux à se dire rassurés par la présence d’un voisin armé à leur côté, ou par la fréquentation d’un salon d’armuriers où aucun terroriste ou tireur incontrôlable n’auraient l’audace de se présenter. Une pensée présentée, sans jugement, par le documentariste, bien éloignée du traitement réservé aux armes sur le continent européen, ce que ne manque pas de souligner un fervent défenseur du Second amendement posant fièrement devant sa quarantaine de fusils. C’est bien ce droit qui est au cœur d’America et un point crucial des élections américaines, défendu avec ténacité par Trump, dont on connaît l’affiliation à la NRA, et combattu par son adversaire d’alors Hillary Clinton. Un pan de la Constitution qui a décidé nombre d’électeurs à prendre le parti de Trump, alors qu’aucun des interrogés ne semble particulièrement emballé à la vision de ce businessman résident de la Maison blanche. Rejet de la « meurtrière » Clinton, comme le souligne avec frénésie un pasteur devant sa poignée de fidèles, défense du port d’armes, refus de l’Obamacare ou fermeture des frontières sont autant d’arguments venus faire flancher cet électorat hésitant et peu engagé. Des hommes et des femmes dont l’ignorance et le passéisme majoritaires effraient et expliquent, mais en partie seulement, les résultats des élections passées.
Au-delà de son sujet, central et pourtant parfois quasi périphérique, des élections, America se révèle être un documentaire d’une grande beauté. Immortalisant des coins perdus de l’Arizona, contrée désertique déchirée par le Grand Canyon, le réalisateur et son directeur de la photographie capturent tout autant les vestiges d’une occupation désormais envolée que le calme imposant de la nature, véritable maîtresse des lieux. Carcasses de voitures, panneaux publicitaires détraqués, pianos à l’abandon sont autant de signes d’un espace en crise, rongé par une misère tant économique que culturelle. De ces panoramas-cartes postales, nimbés d’une lumière déclinante et enrichi d’un contraste travaillé, se dégage une beauté saisissante. Bercés par la bande-son d’Ibrahim Maalouf, ces lieux se parent tour à tour d’une mélancolie touchante ou d’une tension inquiétante, comme préfigurant le désastre à venir mais également la violence constamment tapie en ces terres marquée par un sens de la justice tout à fait personnel. Par instant trop contemplatif, America est un documentaire passionnant quoiqu’un peu maigre, livrant un portrait plein d’humanité de ces territoires isolés et presque vides d’hommes. Cette oeuvre au sens esthétique louable, semble immortaliser le fin d’une ère, incarnée par ces êtres étriqués et secs qui ont bien conscience de faire partie d’un monde voué à l’extinction. Parmi eux s’élève celui dont la voix, sage et mélodieuse, ponctue d’une poésie spirituelle ce récit choral. Un Indien qui a vu lui aussi son peuple subir d’irrémédiables changements, et finalement périr.
Camille Muller
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
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Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)