Splendeurs et prodiges de Dwayne Johnson : à la faveur de la sortie de son nouveau Rampage, disséquons ensemble The Rock, ébaubissons-nous de ses forces mais pointons également ses limites.
Vous l’ignoriez peut-être, mais Dwayne Johnson a fait pression sur le film Rampage – Hors de contrôle pour que la fin soit changée parce que d’après lui, il possèderait « une entente avec son public dans le monde », une « confiance ». Ce qu’il veut dire par là, c’est que le scénario d’origine de Rampage ne correspondait pas à ce que l’on pourrait appeler la marque Dwayne Johnson (ou la poétique, si vous voulez).
On s’est dit qu’à la lumière de cette déclaration, on essaierait de définir justement cette marque, qui a réussi à s’installer au fil des années grâce à l’aura de la star Dwayne Johnson, d’en dessiner les contours pour en tirer un effet de sens. Alors : qu’est ce que Dwayne Johnson essaye de nous raconter à travers ses films ? Et plus largement : c’est quoi un Dwayne Johnson movie ?
DWAYNE JOHNSON : THE MOVIE
Entendons-nous d’abord sur un point : Dwayne Johnson a débuté sa carrière cinématographique au début des années 2000, mais on va à dessein se concentrer sur la période récente où son poids économique lui permet d’avoir son mot à dire (sa première co-production est en fait assez récente, il s’agit de Voyage au centre de la Terre 2 : L’île mystérieuse en 2012), et sur les films dont il est vraiment la star principale. La saga Fast and Furious est donc volontairement mise à part, même si certains arguments évoqués ici s’y appliquent.
Arnold Schwarzenegger était le corps parfait du futur tandis que Sylvester Stallone était à l’inverse une espèce de gigantesque plaie à vif, alors qu’enfin Bruce Willis fut le facteur humain vulnérable au milieu de ces deux colosses du film d’action. Quelle est la place de Dwayne Johnson dans ce panthéon olympique guerrier ? Curieusement, il est à la fois dans sa droite lignée par certains aspects tout en étant à contre-courant par bien d’autres. Car ce qu’il faut comprendre de Dwayne Johnson, c’est que contrairement aux icônes du passé, c’est un guerrier pacifique qui se bat en dernier recours, et toujours de manière non létale.
It’s a big arm, don’t fight it
ARM (PAS) FATAL
Un bref survol de sa filmographie permet de le constater : le personnage qu’il incarne initie rarement le combat et cherche plutôt au contraire à les désamorcer. Ainsi par exemple, dans Voyage au centre de la Terre 2 : L’île mystérieuse, il ne met qu’un seul coup de poing à un lézard géant et le regrette aussitôt, tandis que Jumanji : Bienvenue dans la jungle se déroule dans un univers à la limite du cartoon, où ses coups de poings dantesques ont plus un effet Astérix que cartilage pété. Dans Rampage d’ailleurs, il se bat 15 secondes à peine et comme on l’a vu dans la bande-annonce du film, il se contente de neutraliser.
Dwayne Johnson ne s’érige donc pas comme un assoiffé de sang, et d’ailleurs l’imaginaire qu’il charrie avec sa personne l’entraîne dans des récits qui le poussent rarement à se battre contre d’autres humains (affirmation qu’on peut nuancer avec Agents presque secrets même si The Rock ne l’a pas co-produit, et que le futur Skyscraper fera peut-être mentir, bien qu’on suppose et espère qu’il se battra surtout contre la gravité et la verticalité des tours plutôt que contre une bande de braqueurs générés aléatoirement par ordinateur).
San Andreas, Rampage, Jumanji, L’Île Mystérieuse et même dans une certaine mesure Alerte à Malibu : dans tous ces films (qu’il a co-produit), si Dwayne Johnson a un ennemi, c’est avant tout un environnement ou une catastrophe naturelle plutôt qu’une personne.
Big meets bigger dans San Andreas
Dwayne Johnson a d’ailleurs une curieuse tendance à mettre en perspective son corps de géant impressionnant avec l’immensité de la nature elle-même (rappelant souvent la jungle, la côte ouest américaine, les îles du Pacifique), comme pour nous dire que certes il est un tas de muscles, mais ce n’est pas grand-chose face à des plaques tectoniques en mouvement ou un loup géant qui vole (un des slogans de Rampage – Hors de contrôle est d’ailleurs ‘big meets bigger‘).
Son rapport au corps est par ailleurs étrangement anti-spectaculaire et assez pudique : la star ne laisse ainsi jamais tomber la chemise dans Jumanji, L’Île mystérieuse, ou Rampage par exemple, un gimmick très curieux quand on se souvient de Schwarzenegger nu ou presque dans Terminator et Predator, ou de Stallone à l’effort dans Rambo et Rocky. Même le plus aseptisé MCU n’hésitait pas à déshabiller Thor ou Captain America, tandis que lui, dans Alerte à Malibu, trouve le moyen de se balader en chemise alors qu’il est sauveteur dans une station balnéaire.
Non mais sérieux, enlève le haut là, on a chaud pour toi, il doit faire 30 degrés à l’ombre
THE ROCK, MUR PORTEUR
Dwayne Johnson a ceci de très particulier dans l’univers des héros d’action hollywoodiens qu’il est très désexualisé voire volontairement impuissant/vierge (souvenez-vous ce baiser dans Jumanji…). Les romances sont assez rares dans les Dwayne Johnson movies et concernent souvent les personnages qui gravitent autour de Dwayne Johnson, mais rarement la star lui-même.
Dans Agents presque secrets, il est certes réuni avec son crush de lycée (interprétée par Melissa McCarthy, là aussi un choix pas anodin), mais il rabiboche surtout Kevin Hart et Danielle Nicolet. Dans Alerte à Malibu, c’est Zac Efron qui a droit à une romance. Dans San Andreas et L’Île mystérieuse, Dwayne Johnson est déjà père de famille et ce sont ses enfants qui subissent les affres de la tension sexuelle. Mais cette position extérieure, pourtant indéniablement influente sur les amours de ses films, est probablement le meilleur révélateur du personnage que Dwayne Johnson souhaite incarner.
Dwayne Johnson, Carla Gugino : tension sexuelle niveau 0 dans San Andreas
Dwayne Johnson veut incarner le pilier massif et invulnérable sur lequel repose la communauté représentée dans ses films. C’est une lourde charge et c’est pour cela qu’en tant que pilier, il doit être solide comme un roc(k). Mais c’est aussi pour cela qu’il ne se bat pas et ne veut pas de fin négative pour Rampage : il veut créer du lien, résoudre les conflits et faire en sorte que chaque individu de la communauté soit heureux.
C’est pour cela aussi qu’il diminue sans cesse son gigantisme et moque son apparente perfection virile de film en film, jusqu’à une certaine forme de castration : il veut être un appui pour les autres, à leur niveau, mais pas un modèle impossible à atteindre qu’on regarde d’en bas. Mais pour cela, il doit être accessible (comme il l’est dans la réalité sur les réseaux sociaux) et casser son invulnérabilité apparente, et ce message doit passer non seulement auprès des autres personnages de ses films mais aussi auprès du public qui le regarde.
Se mettre en position de faiblesse devient donc un moyen pour son audience de se sentir inclue et non pas écrasée par la présence du doux colosse. En jouant du ukulélé dans Voyage au centre de la Terre 2 : L’île mystérieuse ou en se mettant littéralement à nu dans Agents presque secrets, Dwayne Johnson veut qu’à la fin du film, on se souvienne que son personnage crée ou répare les liens, et soude la communauté. C’est celui qui a déjà sa place mais aide les autres à trouver la leur.
Jumanji offre un parfait exemple : c’est certes son corps qui embrasse celui de Karen Gillan, mais il n’est qu’une procuration, un marchepied pour l’adolescent qui utilise son avatar pour vaincre ses peurs et s’accomplir.
BILLE PLATE ?
Cette priorité de la communauté explique d’ailleurs pourquoi Dwayne Johnson s’intéresse plus aux films d’exploration, de catastrophes naturelles ou aux buddy movies qu’aux films d’action pur jus traditionnels : ce sont des genres dans lesquels on s’intéresse à des groupes d’humains plutôt qu’à des individus. Cette primauté du groupe sur la personne (et même dirions-nous, sur la star) est probablement d’ailleurs ce qui le rend aussi populaire et ce qui rend les happy ends aussi nécessaires à ses films : on assiste rarement à une ascension personnelle de Dwayne Johnson, mais plutôt à une ascension de la communauté entourant Dwayne Johnson grâce à ce dernier.
Le problème, c’est que cela amène notre acteur à incarner des personnages souvent bien lisses qui ont tendance à être répétitifs. Un peu comme un papa cool sympa qu’on a envie d’aimer et qui donne de bons conseils remontants (sauf pour la drague, cf L’Île Mystérieuse) mais avec qui on a aussi du mal à trouver des atomes crochus.
Certes, c’est un modèle d’innocence très à contrepied du type de rôle badass auquel le corps de l’acteur le destinait, mais passé l’effet de surprise, la lassitude prend un peu le dessus, faute d’aspérités profondes auxquelles se raccrocher. Mais au fond, c’est au cœur du projet de Dwayne Johnson, comme il l’a dit lui-même.
Et The Rock livra le pire conseil de drague du monde à base de pectoraux en acier. Au secours (encore).
Sa marque est une garantie : si vous la consommez, elle promet en échange qu’avec The Rock vous allez oublier la réalité, ou plutôt que vous le suiviez dans un univers où toutes les coutures de cette dernière peuvent péter à tout moment (où un obèse peut devenir une montagne de muscles, où un single blanc géant peut se retrouver à se battre avec un crocodile géant, où encore il est possible de trouver sur Terre des îles non explorées), mais où il assure votre sécurité et où il est encore possible d’agir innocemment pour le bien de ses proches, sans autre calcul que le bien de son prochain. Sa marque est presque une garantie thérapeutique : pendant deux heures avec lui, vous allez aller mieux dans un monde meilleur. En ce sens, il a d’ailleurs assez peu à voir finalement avec une star de film d’action, où la notion de danger est primordiale.
Mais comme tout papa poule, on aimerait lui conseiller de baliser un peu moins les sentiers sur lesquels il nous emmène. L’acteur a peut-être par ailleurs une certaine conscience de ce problème : les bandes annonces de Skyscraper laissent en effet entrevoir un personnage principal beaucoup plus blasé que d’habitude, et il est également de notoriété publique que Dwayne Johnson prévoit d’incarner l’anti-héros Black Adam pour le DCEU. L’occasion pour lui de se glisser dans un rôle moralement plus ambigu, comme il a été tout à fait capable de le faire dans No Pain No Gain.
Lino Cassinat
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