– Barry Jenkins ; 2017 –
Étranger aux yeux du monde tout comme au sein de son propre foyer, Chiron est un enfant fragile et mutique, héros harassé de Moonlight. Composée en un triptyque magistralement mené, l’oeuvre nous raconte trois étapes cruciales de la vie de ce personnage hors-normes, de « Little » à Black sans oublier Chiron, point de chute du récit.
D’emblée, le spectateur est confronté aux difficultés auxquelles Little doit faire face au quotidien. Coursé par ses camarades de classe, le petit garçon trouve refuge dans un immeuble en ruines, repère des junkies du quartier. Il attire alors l’attention de Juan, dealer enrichi par son business, qui va progressivement s’attirer la confiance de l’égaré. Cette rencontre est l’un des socles sur lesquels le héros construit une vie nouvelle, faite d’amour et de partage, entouré de Juan et de sa compagne Teresa qui s’affirme rapidement comme une mère de substitution pour Little. Face à une mère violente, droguée et destructrice, ce foyer choisi s’apparente à un refuge et permet au garçon de faire ses armes pour affronter le monde extérieur. Interloqué face aux attaques permanentes dont il fait l’objet, il se voit très tôt confronté à sa sexualité devant les insultes avec lesquelles l’affublent ses camarades. L’occasion pour son père adoptif de lui inculquer une morale fondamentale qu’est l’acceptation de soi et de l’identité que l’on se crée, malgré les normes et étiquettes que tente de nous affubler la société. Cet enseignement, moment d’intimité et de complicité entre un père et son fils, donne lieu à l’une des plus belles scènes du film, bercée dans la lumière décroissante d’un soleil d’été et par le va-et-vient des vagues. Elle s’achève sur une baignade salvatrice où l’enfant accepte enfin de lâcher prise et d’accueillir tout l’amour que lui portent les siens, isolé du reste du monde et en particulier de sa mère Paula qui ne cessera de hanter son esprit.
Car Moonlight est un film immersif qui nous fait partager les émotions et traumatismes de son héros. De l’enfance à l’âge adulte, Chiron n’aura de cesse de ruminer les images traumatisantes de son enfance, entre harcèlement scolaire et maltraitance menée par sa mère biologique. À la fois menaçante et pathétique, cette dernière est rongée par sa dépendance, interprétée avec brio par Naomie Harris. Détestable et méprisante, elle tient une part de responsabilité criante dans la difficulté qu’a son fils à s’accepter tel qu’il est, sans phare et sans protection. Un enfant confronté à la solitude, obligé de se murer dans un mutisme répété face aux attaques dont il est constamment la victime. Un isolement qui se traduit dans la mise en scène du film avec une insonorisation de certaines scènes, l’adolescent n’entendant plus qu’un bruit sourd en provenance du dehors ; mais également un brouillage visuel représentant l’enfermement du héros sur lui-même, perte de conscience visant à le protéger d’un harcèlement familial et scolaire d’une violence inouïe.
Malgré toutes ces difficultés, il serait réducteur de voir en Moonlight un film traitant uniquement de discrimination et de violence. Sur le plan esthétique, l’oeuvre est une véritable réussite, portée par une bande-son orchestrale grave et magnifique qui accompagne les différents états du personnage principal. Elle s’accorde également avec l’ambiance du récit, plongée dans une noirceur évidente qui est toutefois illuminée de brefs éclats, que ce soient la pâleur de la pleine lune, la lumière blafarde d’un néon ou les phares d’une berline. Autant de lueurs qui sont représentatives d’un espoir vacillant mais pourtant bien présent dans la vie de Black, en proie à ses démons mais toujours empreint d’une touchante naïveté. Une naïveté que l’on retrouve dans l’une des scènes capitales de Moonlight, lorsque le héros rencontre, après plusieurs années de séparation, un de ses anciens camarades de classe. Il retrouve alors ses manies d’autrefois, campé par Trevante Rhodes qui retranscrit parfaitement le jeu de ses deux prédécesseurs, entre sourires gênés et silences lourds de sens. L’acteur partage cette séquence magistrale avec André Holland, criant de sincérité et de sensibilité, au sourire lumineux et plein de chaleur. Heureux et empêtrés, les deux hommes se cherchent et se questionnent dans cette séquence qui marquera durablement l’esprit du spectateur. Sensible et déchirante, à la fois mélancolique et d’une joie extrême, elle est à l’image de Moonlight, œuvre hors-normes et brillante réussite de ce début d’année.
Camille Muller
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
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Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)