– Kiyoshi Kurosawa ; 2017–
Jean (Tahar Rahim) est engagé en tant qu’assistant auprès de Stéphane (Olivier Gourmet), un photographe professionnel ayant la particularité de refuser de travailler en numérique au profit de la chambre photographique. Ce dernier vit et travaille dans une ancienne maison située dans un village proche de Paris avec sa fille de 22 ans, Marie (Constance Rousseau), son modèle depuis que sa femme est morte. Marie se plie aux demandes artistiques de son père qui utilise un daguerréotype à taille humaine pour prendre sa fille en photo, une technique qui demande de très longs temps de pose durant lesquels cette dernière doit rester immobile malgré la fatigue que cet exercice éprouvant peut engendrer. Secrètement, elle rêve d’une nouvelle vie dans laquelle elle pourrait vivre de sa passion, la botanique. L’arrivée de Jean va très vite lui offrir un nouveau souffle au travers d’une romance et de nouvelles possibilités pour leur futur puisque l’assistant photographe décide de tout faire pour convaincre Stéphane de vendre la propriété de manière à pouvoir se reconstruire une vie ailleurs, loin des fantômes du passé. Cependant, des phénomènes de plus en plus étranges vont se dérouler dans la grande maison et perturber les aspirations de chacun.
Pour son dernier long métrage, le réalisateur japonais Kiyoshi Kurosawa décide de réaliser un de ses rêves : tourner en France avec des acteurs et des techniciens français. Si l’histoire pouvait à prime abord promettre un ancrage fantastique certain par l’utilisation de la photographie, le film peine à captiver son spectateur et se perd dans des intrigues sous-jacentes qui desservent le récit. À cela s’ajoutent un casting bancal et des dialogues trop évidents qui font perdre sa dynamique au film. Les promesses cinématographiques du Secret de la chambre noire se réduisent alors à quelques scènes, certes magistrales, qui écartent le film de son errance initiale. Le point culminant de l’œuvre restera donc la scène d’apparition spectrale de la femme du photographe, qui dans un ralenti silencieux et émouvant, vient à nous et permet à Kurosawa de nous rappeler qu’il reste quoi qu’il en soit maître de son art. Décryptons ici les différents points du film.
La photographie à la frontière entre la vie et la mort.
Dans la première moitié du film la photographie, invention créée en France tout comme le cinéma, s’immisce de plus en plus dans le récit et offre au cinéaste un prétexte pour aborder des sujets tels que la vie et la mort, le rapport à la réalité et au passé qui vont être exploités tout au long du film. Par le choix d’un appareil photographique nécessitant un long temps de pose, le photographe est obnubilé par l’immobilité de ses sujets, exigeant de sa fille des poses de plus en plus longues jusqu’à l’épuisement. Il en tire alors des portraits grandeur nature sur lesquels il aime dire que « c’est son être même qui est fixé sur la plaque argentique ». Il est facile d’invoquer ici un parallèle avec une nouvelle d’Edgar Allan Poe, « Le portrait ovale », dans laquelle le personnage principal découvre un tableau d’une jeune femme dont le réalisme le bouleverse. Il lit alors dans la description du tableau que le peintre avait passé des semaines à peindre sa femme sans se rendre compte qu’elle allait de plus en plus mal. À l’achèvement de son tableau, l’artiste découvrait que sa femme était morte pendant la création, ayant donné vie au tableau après l’avoir payé de la sienne. On retrouve dans le film de Kurosawa cette ardeur au travail artistique de la part du photographe en même temps que l’épuisement de sa fille qui semble tendre vers une fin aussi spectrale que celle de sa mère.
La photographie entretient depuis sa création un lien particulier avec la mort et le film va réussir à exploiter ce lien de plusieurs façons bien qu’on regrette que le réalisateur ne soit pas allé plus loin. Si la photographie est pour Stéphane un accès à l’éternité comme il le dira dans un excès de folie aux deux portraits de sa femme et de sa fille, elle va aussi donner être cause de mort. Les plantes que cultive Marie seront affectées par le mercure utilisé par son père pour le développement des plaques et, plus loin dans le film, une famille qui vient de perdre son nourrisson décide de renouer avec la photographie post-mortem (pratique née fin XIXe et début XXe qui consistait à prendre en photo le défunt) en se faisant photographier avec le corps inerte de leur enfant. Enfin, une vieille femme viendra demander qu’on la photographie avant de mourir, perpétuant cette lignée morbide de l’art photographique.
Un certain rapport au temps.
De toutes ces petites scènes, Kiyoshi Kurosawa dresse doucement sa trame narrative pour nous mener vers le fantastique et semer le trouble entre réalité et hallucination. À cela s’ajoute un certain rapport au temps puisque la maison du photographe dans laquelle se déroulent les séances de prise de vue semble être un havre hors du temps. Cette ancienne maison est entourée de toute part par des chantiers et de nouvelles constructions, elle est d’ailleurs visée par un agent immobilier qui propose de l’acheter pour cinq millions d’euros dans le but de la raser et de créer un nouveau projet écologique. Le réalisateur aurait pu faire l’économie de cette nouvelle intrigue, le film s’y perdant inutilement. On en oublie ce qui aurait pu faire sa force à savoir une réflexion cinématographique sur la photographie et les esprits, trame qui semblait être celle vers laquelle le spectateur était mené au début du film.
Le photographe s’attache énormément à sa maison et se refuse à la vendre puisqu’elle est l’emblème d’une mémoire familiale, car cet homme est avant tout hanté par le passé et refuse de laisser ses souvenirs partir. Sa femme décédée est omniprésente à son esprit, il ne sort jamais, reste dans une maison d’un autre temps, et entretient un rapport à son art tourné vers le passé puisqu’il rejette la photographie numérique et s’obstine à recréer les anciens daguerréotypes qu’il trouve dans de vieux livres de photographie. Jean est celui qui sera le plus tourné vers l’avenir puisqu’il entretient le rêve de gagner assez d’argent pour mener une vie paisible avec Marie. Or celle-ci, même si elle compte voler de ses propres ailes, reste emprisonnée dans le carcan que son père a créé. Mi-spectre mi-humaine on ne sait plus trop à quel monde appartient la jeune femme, elle qui représente tout au long du film une figure d’immobilité à l’image de sa première apparition à l’écran. En effet, on la découvre d’abord immobile de dos, se tenant dans les escaliers, vêtue d’une longue robe bleue avant qu’elle ne se décide à monter à l’étage furtivement. Cet immobilisme se retrouvera bien entendu dans les poses exigées par son père. Ce sont donc trois personnages qui offrent trois positions différentes dans le récit et qui permettent de donner au film un certain intérêt.
La force du Secret de la chambre noire réside dans ses thématiques mais le problème majeur du film est bien le fait que celles-ci ne soient pas exploitées plus profondément, pire même, qu’on en perde quelques-unes en cours de route. On applaudira cependant le jeu de Tahar Rahim qui se montre encore une fois en tant que valeur sûre de l’actorat français et essaye du mieux qu’il peut de porter le film, même si le reste n’arrive malheureusement pas à le suivre.
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
Les filles d’avril de Michel Franco : combat de mères
Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)