– Anita Rocha da Silveira ; 2017 –

Troisième film de ce début d’année traitant de l’adolescence et ses mutations, après Grave et The Fits, Mate-me por favor nous immerge dans le quotidien de Bia, jeune brésilienne en pleine évolution. Alors que des meurtres secouent la ville de Barra da Tijuca, ses adolescents tentent coûte que coûte de briser les limites qu’on leur a imposées, tant dans leur vie privée que dans le cadre scolaire.

Habitante d’une ville brésilienne, Bia arpente ses terrains vagues et ses bords de route, rentrant de l’école ou rejoignant ses amies en soirée. Elle emprunte des chemins que d’autres jeunes filles ont pris avant elle, elles qui ont perdu la vie après avoir été poursuivies par un mystérieux assaillant. Mate-me por favor s’attarde aux abords de la ville et ponctue son récit de plans fixes, sombres portraits de Barra da Tijuca, agglomération où d’innombrables barres d’immeubles font face à une nature désertique et menaçante… Des lieux dont l’effrayant calme est ponctué par les cris de jeunes victimes, interceptées par leur agresseur, devenues le défouloir de pulsions malsaines et meurtrières. Ces différents homicides, qui s’égrainent au fil des jours à un rythme déconcertant, nourrissent les discussions des lycéens de la ville. À la fois effrayés et intrigués par les événements, les adolescents livrent tour à tour leur vision et anecdote sur les multiples victimes dénombrées.

Bia et ses trois meilleures amies ne dérogent pas à la règle et prennent un malin plaisir à lier histoires d’épouvante et fantasmes sexuels, jouant constamment avec les lignes. Les quatre héroïnes représentent cette frontière trouble de l’adolescence qui sépare l’enfance du monde adulte. Après s’être livrées à des jeux enfantins, les adolescentes parlent de leurs désirs et de leurs conquêtes, enviant les plaisirs de la chair. Ce quatuor d’actrices (Valentina Herzage, Mariana Oliveira, Dora Freind et Julia Roliz) fonctionne à merveilles et nous rappellent avec justesse tout l’esprit propre à cette période de la vie. Elles nous entraînent dans leur quotidien de lycéennes, univers stéréotypé dominé par la reine du lycée et traversé de multiples querelles amicales et amoureuses. La réalisatrice Anita Rocha da Silveira porte sur ce petit monde un regard plein d’humour et d’affection et nous offre par la même occasion un teen-movie savoureux. Elle nous plonge également dans les pratiques de cette jeunesse connectée, régie par la mise en scène du moi qui s’affirme dans les selfies et autres manifestations sur les réseaux sociaux. Ces habitudes qui sont comme un appel, les adolescentes se livrant au désir d’autrui à travers leurs photos, l’appelant de leur bouche et de leur regard. Des clichés peu à peu épinglés sur un mur-hommage, compilation de photographies en l’honneur des disparus, adolescents et adolescentes capturés par le(s) mystérieux meurtrier(s). Sur ce mur de la mort, un jeune homme dépose l’image de celle qu’il a aimé mais qui l’a malheureusement ghosté. Clin d’œil pertinent de la réalisatrice au caractère fragile et éphémère des relations actuelles, où l’ignorance vaut gage de rupture.

Wayna Pitch

Wayna Pitch

Les quatre amies ne sont pas les seules à être animées de fantasmes et d’un irrépressible désir érotique. Pour cause, Mate-me por favor nous livrent une multitude de scènes traduisant le désir amoureux et sexuel. Baisers à la pelle, passages à l’acte, préliminaires sont autant de moments partagés en compagnie de ces jeunes personnages qui transgressent allègrement les interdits que leur imposent leurs parents et la religion. Les nouveaux couples se consomment, brûlant d’un désir non dissimulé et passant presque littéralement à l’action dans la cour de l’école, se réfugiant dans les toilettes pour davantage d’intimité. Une forme de cannibalisme en somme, tant ces adolescents se dévorent de désir. Et Bia n’est pas en reste dans cette équation, elle qui a bafoué le précepte sacré du mariage qu’est de ne pas consommer l’union avant sa sacralisation… Une règle qui amuse bien la jeune femme mais que craint de plus en plus son jeune amant, largement influencé par les messes organisées dans leur lycée. Portées par une prêcheuse-diva, sorte de version cheap et kitsch de Cherryl Blossom (Riverdale), ces manifestations religieuses sont tournées en dérision par la réalisatrice, véritables événements marketing pour leur organisatrice. Cette dernière assomme de chansons pops et niaise ses ouailles, jeunes fidèles influençables, à l’image du petit-ami de Bia, transporté par ces incitations à une pureté qu’il a depuis longtemps perdu. Au milieu de ce chaos, Bia demeure songeuse, de plus en plus fascinée par les meurtres s’enchaînant dans la ville, nourrissant une curiosité maladive pour les victimes assassinées.

Sa rencontre fortuite avec une victime, luttant entre la vie et la mort, va accélérer cette pulsion morbide. Tout comme Justine dans Grave, la jeune héroïne va céder à la tentation du sang et s’en retrouver totalement transformée. – S’isolant de plus en plus dans une solitude pleine de colère et de rage, Bia devient une adolescente imprévisible et menaçante, elle qui démontre une volonté de jouer avec l’inconnu et de dépasser ses propres limites. La dernière partie de l’œuvre s’attache à ce basculement, entre descente aux enfers et découverte de soi. La réalisatrice se perd malheureusement dans cet amas de scènes qui s’enchaînent à un rythme accéléré face au reste du récit et lassent progressivement le spectateur. Entre révélations sexuelles, déboires amicaux et errances solitaires, Bia se perd dans sa lutte constante contre les règles établies. Heureusement, le final de l’œuvre nous réconcilie avec celle-ci et nous révèle toute la fragilité de ses personnages adolescents. Mate-me por favor, « Tuez-moi s’il vous plaît » n’aurait pu avoir de meilleur titre qui traduit l’errance de ces jeunes en quête de sensations et de reconnaissance. D’un sens à donner à leur vie, même si il doit passer par la mort.

Camille Muller

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