– Alejandro González Iñárritu ; 2016 –

Le virage récent qu’a opéré Alejandro González Iñárritu dans sa carrière, sacralisée par le succès de Birdman, donnait déjà à The Revenant, sa nouvelle réalisation, une saveur particulière. Maître du plan-séquence, génie incontesté, visionnaire de l’image, le réalisateur mexicain est devenu en l’espace de deux ans une figure incontournable du cinéma d’aujourd’hui, nouveau rôle concrétisé par son couronnement à la dernière cérémonie des Oscars. Sans conteste, Alejandro González Iñárritu est devenu un réalisateur messianique dont la mission affichée est de révolutionner l’art de la saisie de l’image. L’entreprise titanesque qu’est The Revenant semble dès lors bien plus qu’un simple pari cinématographique : il s’agit de repousser des limites, des contraintes, qu’Iñárritu lui-même a pu s’imposer dans la rigueur qu’exigeait Birdman. Après avoir dit « MERDE » au cinéma hollywoodien, Iñárritu entreprend de le transcender.

« As long as you can still grab a breath, you fight. »

Les premières images de The Revenant annonçaient déjà le nouveau parti-pris d’Alejandro González Iñárritu : une caméra incisive, une réalisation soignée et naturaliste, ainsi qu’une photographie sublime, portée par l’incroyable et talentueux chef-opérateur Emmanuel Lubezki. En ce sens, la dernière réalisation du Mexicain est une réussite. Ce dernier disait avoir une volonté de « saisir ce moment magique de la journée où Dieu apparaît », ce qu’a su lui offrir sa nouvelle association avec « Chivo ». La force de The Revenant réside ainsi incontestablement dans ce que les deux Mexicains donnent à voir : une photographie qui tient du miracle et qui met le spectateur hors d’haleine. Chaque image donne ainsi le sentiment d’assister à un spectacle hors du temps, un véritable voyage aux confins d’une nature magistrale et envoûtante. Le naturalisme certain de la caméra se traduit par des choix de réalisation audacieux, qui s’inscrivent entre lumière naturelle et montage subtile, presque aussi évasif en apparence que celui de Birdman. Chaque plan se décompose comme une véritable œuvre d’art et se déroule lentement, avec une élégance propre au style d’Iñárritu. L’analogie avec le cinéma de Terrence Malick apparaît comme une évidence, en tant qu’elle s’établit par le lien qu’est Emmanuel Lubezki. Mais la composition des plans de The Revenant, ses mouvements de caméra, marquent tout de même une certaine rupture avec le réalisateur texan : ils font preuve d’une singularité qui place Alejandro González Iñárritu comme un auteur talentueux et un visionnaire de l’image. Peut-être qu’un lien avec un autre auteur apparaît alors comme plus évident : celui avec Andreï Tarkovski. En effet, comme ce dernier, Iñárritu semble maîtriser les éléments, non seulement en ce qui concerne la réalité du terrain de tournage, mais également dans la façon dont se retranscrit la nature dans certains plans, en témoigne un plan où le vent apparaît miraculeusement dans la cime des arbres au terme d’un mouvement de caméra ascendant, rappelant une certaine scène du Miroir, où le vent balayait les hautes herbes.

Le nouveau format d’image en 6K repousse également les limites historiques du cinéma et offre une expérience totale et haletante. Le Mexicain s’affranchit d‘un nombre effarant de contraintes, au sein d’un tournage exigeant et contraignant. Il est incroyable de voir à quel point The Revenant repousse les limites de ce qui fait le cinéma d’aujourd’hui pour se poser en tant qu’œuvre majeure de ces dernières années. Le long-métrage est une réussite technique de haute-volée et permet d’envisager un cinéma total à travers un réalisateur dévoué, prêt à mettre sa caméra en danger. L’audace de ce dernier se traduit ainsi dans une scène d’ouverture magistrale, où la caméra se prend dans un jeu de changement de sujet au cœur d’un plan-séquence qui, déjà, repousse le spectateur au fond de son siège.

« He’s afraid. He knows how far I came to find him. »

Mais Iñárritu n’est pas le seul à se mettre en danger : il emmène tout son casting au cœur d’un tournage chaotique, maintes fois repoussé, dans des conditions extrêmes. Tom Hardy, interprète de John Fitzgerald, est époustouflant dans son rôle d’antagoniste vénal et égoïste et c’est un réel plaisir que d’entendre la mélodie grinçante de sa voix, l’une de ses armes les plus effectives dans une carrière qui tend à se concrétiser dans un proche Oscar. Globalement, l’ensemble du casting joue juste et fait abstraction de conditions de jeu harassantes pour offrir une prestation tout aussi naturaliste que les images du réalisateur mexicain. La figure de proue de la distribution est évidemment Leonardo DiCaprio, enfin titré pour l’ensemble de son œuvre. Sans être transcendant, sans être une évidence, il repousse cependant les limites de l’ « actor studio », répondant avec brio au challenge d’Iñárritu. La façon dont « Leo » s’implique dans le long-métrage rompt certaines barrières du cinéma et offre une prestation animée par un esprit autrement plus fort que l’esprit de vengeance qui porte Hugh Glass. Oui, DiCaprio mérite son Oscar, en tant qu’il repousse les codes de l’acting.

20th Century Fox France

20th Century Fox France

« God giveth, God taketh away. »

S’il fallait faire un reproche à The Revenant, il concernerait inévitablement l’histoire qu’il raconte. C’est ici qu’il manque quelque chose. Si l’œuvre d’Iñárritu est une réussite technique, elle ne parvient cependant pas à transcender le spectateur, à le toucher au plus profond de son être. En ce sens, difficile de faire de The Revenant une expérience de cinéma totale. Les sujets sont intéressants, en ce qui concerne le thème de la vengeance, du rapport entre les Hommes et entre l’Homme et la Nature. Pourtant, ces thèmes ne vont pas chercher dans les tripes du spectateur ce qui pourrait leur donner une saveur particulière. L’histoire d’Hugh Glass n’est malheureusement pas universelle et ne saurait toucher le spectateur plus loin que la souffrance physique qu’elle suggère. Il s’agit là du seul aspect de l’œuvre qui ne fait pas état d’une élévation et qui semble quelque peu stagner. On notera toutefois certaines scènes prenantes, comme l’incontournable plan-séquence de l’attaque du grizzli. Non pas que le film manque de fond, simplement qu’il ne porte pas ce dernier aussi loin que peut l’espérer le spectateur en présence d’une œuvre aussi conséquente. En un sens, alors que l’œuvre toute entière se tourne vers l’avenir, vers une élévation, la mise en image de la légende opère en quelque sorte un simple retour dans le passé et n’arrive pas à dépasser sa condition de conte naturaliste.

Mais cette lacune de fond n’occulte en rien la réussite de The Revenant. L’œuvre d’Iñárritu repousse sans cesse les limites et offre une expérience singulière sublimée par une réussite technique retentissante, qui marque sans doute un véritable virage dans le paysage cinématographique. Œuvre majeure, The Revenant est plus que jamais un film pionnier, qui va au-delà de toute contrainte et nous rappelle que le cinéma n’est jamais qu’un mouvement continu, entretenu par des génies à la recherche d’un Eldorado au-delà des barrières de l’écran.

Vincent Bornert

3.5/5 (2)

Et si vous nous donniez votre avis ?