Aujourd’hui Scotchés s’intéresse à la construction d’un mythe dont on ignore bien souvent l’origine. On connaît tous Sissi l’impératrice, que ce soit grâce aux films d’Ernst Marischka qui ont popularisé la figure de Romy Schneider ou au dessin animé de notre enfance. Sissi, duchesse provinciale de Bavière, s’est vue propulsée à la tête de l’empire d’Autriche-Hongrie en 1854 grâce – à cause ? – de son mariage avec Franz, empereur d’Autriche. Elle n’a alors que 17 ans. Petit article pour savoir qui était vraiment Elisabeth de Bavière aka Sissi et pour démêler le vrai du faux

           Du vrai au faux

          On peut concéder aux films comme au dessin animé qu’ils véhiculent une image globale plutôt représentative du personnage historique. Le principal trait de caractère de l’impératrice étant, definitely, son côté rebelle. Elle bouscule les codes de la fonction impériale et cela lui vaut une certaine popularité. Il y a cependant des détails qui fâchent. Dans le dessin animé Princesse Sissi par exemple, Sissi est blonde… Pourquoi ?  On peut supposer qu’en 1997, une princesse doit être blonde (et grande et fine), sans doute. Et d’ailleurs, Sissi n’était pas princesse, mais duchesse de Bavière, puis impératrice d’Autriche et reine de Hongrie… On repassera donc pour la rigueur du dessin animé. En dépit de cette querelle lexicale, la série d’animation présente bien Sissi comme une femme indépendante, désireuse de liberté et adorant les escapades solitaires, à cheval notamment. Cf le titre du premier épisode : « Sissi n’en fait qu’à sa tête ».

               C’est un portrait général semblable que dresse la trilogie d’Ernst Marischka. C’est en raison de son tempérament fort et de son attachement à la « simplicité » de la campagne bavaroise qu’Elisabeth a du mal, en fiction comme en réalité, à s’adapter à la rigueur de la cour et notamment aux exigences de sa belle-mère, Sophie, avec qui elle développe une relation conflictuelle. Sissi est au renouveau ce que sa belle-mère est au conservatisme. Ce côté novateur est toutefois plutôt soft, dans les représentations à l’écran… alors que Sissi avait réellement des adversaires qui la détestaient parce qu’elle incarnait la décadence. Dans le film comme dans le dessin animé, on lui reproche de ne pas savoir se tenir ou de faire un peu trop de cheval… mais ses « dérives » étaient en fait toutes autres. On dit par exemple que l’impératrice aurait grandement participé à introduire la mode de la cigarette à la cour d’Autriche… Et ce n’est pas sans conséquence puisqu’un épisode historique, jamais relaté à l’écran, fait état de la « mauvaise influence » de Sissi. Une de ses cousines qui cherchait à l’imiter, Mathilde de Teschen, aurait voulu fumer une dernière cigarette avant de se rendre au théâtre un soir. Déjà apprêtée dans sa robe à volants recouverte de glycérine*, elle entend les pas de son père dans le couloir. Elle cache alors la cigarette dans son dos et met feu à sa robe… Elle en mourra. Pour les conservateurs : c’est la faute de Sissi. Qu’il s’agisse de sa grande consommation de cigarette ou de son culte de la maigreur, le côté sombre de Sissi la thug n’est jamais exploité dans les œuvres de fiction…

               L’indépendance de Sissi se manifeste dans la relation affective qu’elle entretient avec la Hongrie, pays pourtant hostile à l’empereur. La relation entre Sissi et le royaume de Hongrie est soulignée dans les films où elle apprend le hongrois avant de voyager seule dans le royaume voisin de l’empire d’Autriche. C’est là un point détaillé et réaliste. En revanche ce qui est absurde, et c’est pourtant là-dessus que reposent les films, c’est l’histoire d’amour passionnelle entre Franz et Sissi…
À l’écran comme en réalité, Franz ne devait pas se marier avec Sissi, mais avec sa grande sœur : Hélène. Il va cependant tomber sous le charme d’Elisabeth et lui demander sa main, surprenant la cour toute entière. Sissi a 17 ans et accepte par convention sans vraiment saisir l’ampleur de la situation. On est donc bien loin de l’idylle représentée par Marischka. Sissi se plaint très tôt de la vie conjugale et de son mari absent, sans cesse occupé par la diplomatie. Cette diplomatie impériale est donc la cause de tous les malheurs de Sissi. Elle déplore l’absence d’un mari qu’elle n’a pas choisi et qui lui a été imposé pour sceller une alliance politique entre l’Autriche et la Bavière.

               Enfin, la spatialité est, comme le portrait global de Sissi, plutôt fidèle… sans toutefois être parfaite. Plusieurs plans en extérieur montrent le château de Schönbrunn, résidence d’été de la famille des Habsbourg. Ce décor a indéniablement participé à faire du château la haute place touristique qu’il est devenu. Pourtant, les Habsbourg passaient bien le plus clair de leur temps à la Hofburg, la résidence impériale située en plein cœur de Vienne. C’est là-bas que Franz travaillait, dans un bureau dans lequel il restait, paraît-il, douze heures par jour. On ne voit pourtant jamais cette résidence. Autre aspect réaliste : les lieux évoqués ou filmés. Par exemple, le Prater où Sissi va se détendre et galoper. Aujourd’hui encore, ce quartier de Vienne est un espace dédié à la récréation, avec notamment un des plus vieux parcs d’attraction d’Europe.
Voguant entre le vrai et le faux, le portrait de Sissi véhiculé par ces mises à l’écran est toujours partiel. Les réalisateurs exploitent le côté rebelle de Sissi, sans jamais porter atteinte à un personnage qu’on veut nous faire aimer à tout prix…

* La glycérine était à l’époque utilisée pour donner de l’ampleur aux soieries des robes à crinoline.

                Le mythe Sissi et son héritage

               … Et ça marche. C’est ainsi que Romy Schneider est devenue l’icône intergénérationnelle que nous connaissons aujourd’hui. Popularisée par Ernst Marischka pour la génération de nos grands-parents et nos parents, elle l’a ensuite été par le dessin animé sur France 3 ou encore par la chaine de musique Bon Entendeur qui l’a honoré à l’occasion d’une mixtape en Janvier 2014. Rares sont les personnes qui prétendraient ne pas connaître Romy Schneider au moins de nom, plus rares encore : des gens qui n’auraient jamais entendu parler de Sissi. L’impératrice imprègne donc imaginaire collectif et culture générale.
Avec Sissi, c’est aussi une certaine image de l’Autriche qui est véhiculée. Celle des danses virevoltantes au son de la marche de Radetzky de Johann Strauss (« mais si tu connais ! », clique ici) dans des salles aux marbres lustrés… Ce sont les fastes de l’empire austro-hongrois qui brillent sous nos yeux. Ce géant politique gouverné par une seule et même famille – les Habsbourg- pendant plus de 800 ans sans interruption. Mais la vision de la classe dominante autrichienne qui apparaît dans les films est désormais un peu datée.

               On observe effectivement un certain nombre de maladresses qui témoignent de l’époque de réalisation des films de Marischka… mais qui ont pu participer à véhiculer des images qui aujourd’hui seraient « limites limites ». Dans le troisième film de la saga notamment, Sissi rencontre un groupe de gitans en Hongrie. Deux moments absurdes s’en suivent . Un premier où Sissi tente d’intervenir dans une scène où un gitan bat sa femme. La femme battue, énervée que quelqu’un s’interpose dans sa dispute de couple, se met à insulter Sissi (sans savoir, bien entendu, qu’il s’agit de l’impératrice d’Autriche). Ce à quoi Sissi se contente de répondre « Si elle aime les coups au point de se jeter sur ceux qui viennent à sa défense, son mari aurait tort de se priver de la frapper ». Mmmmh… Vraiment ? En termes de légitimation de la violence faite aux femmes, on applaudit Sissi. Toujours dans ce même épisode, au moment de partir, Sissi conjure son hôte hongrois de donner de l’argent aux enfants. Il s’exécute… en jetant des pièces aux enfants gitans qui se mettent à les ramasser à quatre pattes. Là encore, on a vu des formes de charité bien plus louables et moins méprisantes…
On passera rapidement les moments où Sissi s’exclame naïvement « On va enfin partir en vacances, comme tout le monde ». Le film date des années 50, l’action est censée se dérouler dans la seconde moitié du XIXème siècle… Donc pas sûr qu’à l’époque, « tout le monde » partait en vacances… Ces maladresses, en plus du caractère stéréotypé et de la qualité vidéo limitée des années 50, occasionnent des passages lourds ou peu divertissants pour les spectateurs du XXIème siècle.

               Bien entendu, il faut avoir à l’esprit que ces représentations à l’écran n’ont aucune prétention à l’objectivité historique ni à l’exhaustivité. Mais ce sont pourtant elles qui nourrissent l’imaginaire collectif et construisent l’idée que se font les gens de Sissi et de l’empire austro-hongrois… Cette image, parce qu’elle est partielle et datée, mériterait d’être renouvelée. A l’heure où le biopic est une des formes privilégiées par le cinéma, il serait très intéressant qu’un réalisateur s’empare de la figure de Sissi pour la renouveler et la révéler dans sa complexité, dans ses bons côtés comme dans ses aspects plus sombres afin de briser le mythe pour en récréer un moins cliché, plus vrai… et plus intéressant. Guillaume Gallienne a bien tenté de se travestir en Sissi dans un court passage des Garçons et Guillaume, à table !, sans que l’on puisse dire que le rôle lui colle à la peau. Qui osera donc se mesurer au mythe ?

Clément Dillenseger


Corpus

Films

Sissi, Ernst Marischka, 1955

Sissi impératrice, Ernst Marischka, 1956

Sissi face à son destin, Ernst Marischka, 1957

Les garçons et Guillaume, à table !, Guillaume Gallienne, 2013

Dessin animé

Princesse Sissi, Bruno Bianchi, 1997-1998

5/5 (5)

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