– Edouard Deluc ; 2017 –
Alors que l’on voit, depuis quelques années déjà, fleurir les portraits de grands représentants de la culture européenne (de Cézanne à Rodin, de Turner à Karl Marx), Edouard Deluc se plie, lui aussi, à cette nouvelle tendance, et choisit de porter à l’écran l’histoire de l’une des figures majeures de l’art moderne, Paul Gauguin. Il s’appuie pour ce faire sur les écrits de ce dernier pour nous conter ce qui est sans doute l’épisode majeur de son existence, à savoir son premier séjour en Polynésie, où il rencontrera son amour et sa muse, Tehura.
Force est de constater, tout d’abord, avec quelle justesse Vincent Cassel se glisse dans la peau du peintre français, nous offrant ainsi une performance tout à fait convaincante au cœur de cette quête artistique que constitue l’exil de Gauguin. Nous suivons de ce fait sans trop de peine l’épopée outre-mer du peintre, depuis sa crise identitaire jusqu’à la conception de quelques unes des œuvres les plus emblématiques de sa carrière.
Vient se conjuguer à ceci une réalisation elle aussi tout à fait juste en ceci qu’elle inscrit à merveille le motif de l’ailleurs au cœur de ce carnet de voyage exotique ; Edouard Deluc choisit ses cadres avec parcimonie et nous livre un long-métrage pictural, multipliant pour ce faire les plans larges dans lesquels Vincent Cassel trouve sa place de modèle. À ceci s’ajoute, enfin, une bande originale qui vient parfaitement se mêler à l’univers dépeint et confère par là-même un aspect onirique à l’ensemble de la réalisation. Ainsi Gauguin se veut-il être dans ses premiers instants aussi bien une échappée sauvage prometteuse qu’une rêverie picturale.
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Relevons néanmoins qu’à l’onirisme des premiers instants succède une tonalité élégiaque dissonante. Edouard Deluc fait en effet le choix de placer au centre de Gauguin la relation du peintre avec Tehura, limitant ainsi la réalisation à l’épanouissement puis l’effondrement d’un idylle insulaire. Bien que cette relation soit au centre de certaines des plus grandes œuvres de l’artiste, on regrettera que celle-ci obstrue totalement le cadre narratif et en vienne même à occulter la dimension artistique de la réalisation. Là où Jacques Doillon parvenait à sublimer l’austérité de son Rodin à travers une réflexion sur la matière et la sculpture, Edouard Deluc semble quant à lui oublier qu’il esquisse les traits d’un artiste majeur, ne lui apposant plus que l’étiquette d’amant. Les plans de l’artiste à l’ouvrage ainsi que les scènes dévoilant l’origine de certaines peintures deviennent rapidement anecdotiques et laissent leur place à l’esquisse d’un Gauguin en proie à une crise de jalousie majeure, conjuguée à son travail ouvrier.
Le portrait de Paul Gauguin semble par ailleurs quelque peu complaisant, en regard des polémiques qui gravitent autour de la vie de l’artiste lorsqu’il était en Polynésie. On relèvera en ce sens l’absence de nuance tout comme le manque de relief d’un portrait d’artiste qui se révèle, somme toute, assez fade, la performance de Vincent Cassel ne parvenant malheureusement pas à dissimuler les défauts d’écriture de Gauguin.
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En définitive, si Gauguin semble une porte d’entrée intéressante pour envisager la genèse de la production artistique de l’artiste, la réalisation trouve rapidement ses limites lorsqu’elle délaisse la poésie de ses premiers instants au profit d’une romance maladroite, venue elle-même obstruer complètement la narration. Les coups de pinceaux du peintre Edouard Deluc ont bien du mal à donner vie à un portrait dont on ne retiendra finalement que la genèse et les belles promesses, à défaut d’avoir pu contempler le travail du véritable artiste, Paul Gauguin.
Vincent Bornert
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