En juillet dernier le monde de l’horreur perdait son maitre incontesté, George A.Romero, qui s’éteignait à l’âge de 77 ans après avoir bouleversé la représentation du zombie au cinéma. Scotchés revient sur le film qui a influencé et continue d’influencer les nouvelles générations de cinéastes qui décident de s’attaquer à la figure emblématique du zombie : La nuit des morts vivants.

Sorti en 1968, La Nuit des morts vivants met en scène un huis clos dans lequel un groupe de personnes se retrouve assiégé  par ce qui semble être des morts revenus à la vie dans une petite ferme de Pennsylvanie. On apprend très vite que la côte Est des États-Unis est marquée par ce phénomène étrange de prolifération de zombies sans que personne ne puisse donner une explication ni une solution durable au problème. La seule consigne donnée est de se barricader dans des endroits clos et de tirer dans la tête des zombies ou de les immoler, seuls moyens de les tuer complétement.

Romero et les zombies, les prémices d’un grand amour.

Après avoir travaillé sur des films publicitaires dans sa petite boite de production The Latent Image Inc. (créé en 1961 par Romero et quelques-uns de ses amis), le groupe décide de se lancer dans la production d’un long métrage et crée la compagnie Image Ten principalement financée par l’argent personnel de chacun des membres du projet. Pour leur premier long métrage, Image Ten décide d’adapter une nouvelle écrite par George A.Romero inspirée du roman de Robert Matheson Je suis une légende. Le tournage commence sans que la production ait rassemblé tous les fonds nécessaires pour terminer le projet mais, après avoir fait venir des investisseurs, le tournage se termine avec un petit budget final de 114 000 dollars.  Le succès du film en fera alors l’une des œuvres les plus rentables de l’histoire du cinéma. Cependant Romero et sa bande ne profitèrent pas du butin comme ils l’auraient dû à cause d’un distributeur peu scrupuleux qui en plus d’« oublier » de redistribuer comme il se doit l’argent qu’avait engendré le film, omit également d’apposer le copyright au générique de fin. La Nuit des morts vivants était d’abord supposé être distribué sous le titre « Night of the Flesh Eaters » mais suite à un problème de droit d’auteur, le distributeur dû changer le titre. C’est lors de cette modification que celui-ci supprima la mention copyright qui, aux États-Unis, est garante du droit d’auteur. C’est ainsi que La Nuit des morts-vivants tomba, dès sa sortie, dans le domaine public. Bonne nouvelle pour nous : le film peut être vu gratuitement et LÉGALEMENT sur tout site de streaming !  Avis à toi qui ne l’a pas encore regardé, tu n’as plus d’excuse !

Vous avez dit « politique » ? 

Fort d’une esthétique que les critiques rapprochent souvent du reportage (rappelons que le film sort en pleine guerre du Vietnam) et d’un choix de casting mettant en scène un personnage principal de couleur noire -Ben joué par Duane Jones- dans un contexte de tension raciale, il est difficile de ne pas voir en La Nuit des morts vivants un film éminemment politique.

Et pourtant, le réalisateur se défendra souvent d’avoir intentionnellement donné à son œuvre film une teneur politique aussi grande que les critiques se sont plu à analyser. Au contraire, de nombreux choix de mise en scène ont été le fruit du hasard ou simplement guidés par des restrictions budgétaires.  Dans la préface à The Complete Night of the Living Dead Book (Harmony Books, 1985), Romero explique que le choix du noir et blanc n’était en fait dû qu’au fait que le budget du film ne permettait pas de filmer en pellicule couleur. De même, le choix de Duane Jones pour interpréter le rôle du personnage principal n’est imputable à aucune intention visant à mettre en avant un sous-texte permettant d’aborder les problèmes raciaux mais plutôt au simple fait que l’acteur s’était avéré être le meilleur pendant le casting. Si l’acteur principal était le plus conscient de l’équipe concernant l’impact que pouvait avoir sa couleur de peau sur la réception du film, Romero, selon ses dires, ne s’en rendit compte que quelques temps après la fin du tournage, lors de l’assassinat de Martin Luther King. En tant que spectateur il est effectivement difficile de ne pas voir une dimension politique et revendicatrice portée par le film et le cas de La Nuit des Morts vivants permet aussi de rappeler, à ceux qui tendent à l’oublier, qu’un film est toujours ancré dans une époque, dans un contexte que le spectateur projette forcément sur l’œuvre.  Alors intentionnelle ou pas, la dimension politique du film de Romero continue de faire parler et finalement : c’est tant mieux. On peut cependant avancer sans crainte que le film aborde de façon critique la société qu’il dépeint : incapacité des autorités à gérer une crise qui les dépasse, médias qui se contredisent, humains en proie à la survie quitte à en perdre la raison, noyau familial fragile, égoïsme et repli sur soi … autant de thèmes qui seront exploités en profondeur quelques années plus tard dans le deuxième film de Romero, Zombie – Le Crépuscule des morts-vivants (1978).

They are coming for you Barbra.

Avec Night of The Living Dead le réalisateur commence, en plus d’une belle carrière, son grand amour avec les morts vivants. Si on dit souvent que son premier film a réinventé la figure du zombie au cinéma, le terme même de zombie n’est revendiqué par Romero qu’à partir de son second film préférant appeler ses créatures de La Nuit des « goules », mais celles-ci vont rester jusqu’à aujourd’hui  le modèle le plus repris du cinéma de morts-vivants. Car avec ses goules, Romero se détache de la figure classique du zombie qui était souvent jusqu’alors le fait d’un savant fou (Frankenstein de James Whale, 1932) d’une potion vaudou (White Zombie de Victor Halperin, 1932), ou d’une vie extraterrestre (allez, au hasard Plan 9 from outer space d’Ed Wood, 1959). Chez Romero, la cause du réveil des morts est vaguement évoquée mais elle n’est jamais le moteur principal de l’histoire et reste en second plan, permettant au réalisateur de se focaliser davantage sur l’atrocité visuelle du phénomène que sur ses causes profondes. C’est donc ainsi que nait le zombie cannibale lent (Pourquoi lent ? Parce que la mort ça abime les tendons pardi ! Tu te vois vraiment taper un sprint avec des asticots qui te bouffent les muscles toi ?) dont le seul but est l’assouvissement de sa faim. Dépourvu d’émotions le zombie est alors capable de dévorer les membres de sa propre famille..! Bonne ambiance. Si aujourd’hui, les zombies de Romero peuvent nous sembler bien loin de la limite du supportable en matière de représentation de l’horreur, il n’en demeure pas moins qu’à sa sortie, le film fut remarqué pour son sadisme à base d’os de jambon cuit et de teints blafards. Le plus frappant aujourd’hui est peut-être le contraste que dégage l’œuvre qui se lit comme étant à la fois horrifique dans son sujet mais aussi indéniablement poétique dans son esthétique, dans sa gestion de la lumière, dans son omniprésence de la musique et dans son incroyable scène de fin.

Nous en resterons là quant à La Nuit des morts vivants. Tu ne pensais tout de même pas que j’allais te spoiler la fin ? Eh bien non, je n’en dévoilerai pas plus : à toi de te plonger dans ce classique du cinéma d’horreur !

Élise Saudemont

 

 

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