-Jean-Baptiste Thoret ; 2017 –
Que reste-il de la contre-culture américaine des années 1960-1970 ? C’est à cette question que tente de répondre le critique et historien de cinéma Jean-Baptiste Thoret par le biais de son documentaire. La contestation de la guerre du Vietnam, le mouvement des droits civiques et bien d’autres événements sont constitutifs de ce mouvement qui s’opère au début des années 1960. Le cinéaste n’interroge pas les fondements de cette opposition à la culture dominante mais plutôt son héritage, ou plutôt son non-héritage. Véritable road-movie mental, « We Blew it » n’arrive presque jamais à donner de réponse si ce n’est de formuler l’idée que la contre-culture américaine contenait dès sa naissance la prescience de sa propre mort.
« We blew it » ou « On a tout foutu en l’air » en français, est une réplique prononcée par Peter Fonda dans Easy Rider de Dennis Hopper. Autour d’un feu, un constat est posé dès l’année 1969, soit deux ans après le début du Nouvel Hollywood qui donne le pouvoir aux cinéastes au détriment des producteurs. Auteur prolifique, Jean-Baptiste Thoret a écrit de nombreux ouvrages sur le septième Art dont Le cinéma américain des années 1970. Pendant une année entière, il a arpenté les Etats-Unis pour croquer ce qui restait de la contre-culture américaine au moment de la campagne électorale de 2016.
Le cinéaste Michael Mann est le premier à intervenir dans le documentaire. Dans l’obscurité, il relate le chemin parcouru en 1972 pour tourner son documentaire sur les vétérans de la guerre du Vietnam. C’est une matrice essentielle de la contre-culture et Jean-Baptiste Thoret a l’intelligence de donner la parole aux vétérans toujours vivants. D’où ce constat amer d’une Amérique qui ne veut plus d’eux alors que ces soldats pensent avoir combattu pour la défendre. C’est l’une des thématiques qui se greffent à la période électorale qui précède la victoire de Donald Trump, le film baignant dans cette opposition entre l’intérieur et l’extérieur, entre le même et l’autre. De là émerge la richesse du film, celle de proposer une lecture poussée des événements.
Hallucination collective ?
Le réalisateur pose sa caméra dans les lieux chargés de sens pour la contre-culture américaine comme Elm Street, à Dallas, où Abraham Zapruder y filma l’assassinat de Kennedy. Sans cesse, il oppose la violence ou l’importance d’un évènement à ce qu’il en est advenu aujourd’hui. Les voitures roulent désormais à l’endroit où le président a été abattu. À Goldifeld, où Richard Sarafian a tourné Point Limite Zéro, le silence a remplacé le vrombissement des voitures. Au cœur de cette dichotomie se joue la question de l’engagement politique. C’est ce qui fonde la nostalgie d’une partie des intervenants de ce long-métrage. Comment les hippies sont-ils devenus des yuppies ? Ce que Thoret filme, c’est cette possible hallucination collective autour de la contre-culture américaine. Cela a-t-il vraiment eu lieu ? En ce sens, la construction du documentaire participe de cette rêverie par l’impossibilité de tracer un circuit précis du trajet emprunté par l’équipe. Par ce procédé, le long-métrage raconte la fin du road-movie à l’air des autoroutes.
Du Cinémascope au noir et blanc
Pour son premier documentaire de cinéma, Jean-Baptiste Thoret a fait le choix du Cinémascope. Ce format permet de restituer la grandeur du territoire américain comme l’a si bien utilisé Michael Cimino. Dans We Blew it, les personnages arrivent difficilement à occuper le cadre. Les réalisateurs surgissent de l’obscurité et les Américains filmés dans la rue cherchent rapidement à s’affranchir de l’écran ou sont relégués au flou (la chanteuse Ronee Blakley par exemple). Progressivement, les corps disparaissent ou souffrent à l’écran. C’est le cas de Tobe Hooper, bouleversant à la toute fin du documentaire lorsqu’il répète cette phrase d’Easy Rider reprise dans le titre : « We blew it ». Il n’est pas étonnant de voir le film conclure sur cette voiture que l’on quitte avant de virer dans un noir et blanc crépusculaire. Difficile d’imaginer de meilleures funérailles.
We blew it donne l’impression d’une grande rêverie sur ce qu’a été la contre-culture américaine au début des années 1960. À travers ce jeu de masques et de grimaces, Jean-Baptiste Thoret filme un monde où l’élégie permet de continuer à vivre. En-dehors de Michael Mann, les cinéastes interrogés peinent à rencontrer un succès public après les années 1980. Cette désillusion politique et esthétique amène les intervenants à regarder l’avenir dans le rétroviseur. Au bout du compte, la question reste la même, ont-ils vraiment tout foutu en l’air ?
Clément Simon
EVE
23 novembre 2017 — 22 h 02 min
C’est juste un chef d’oeuvre !