– Marine Francen ; 2017 –

Dans un village des Alpes au 19ème siècle, tous les hommes sont raflés à la suite du coup d’Etat de celui qu’il convient désormais d’appeler Napoléon III. Seules les femmes demeurent, ne sachant rien du sort des hommes. Après une longue attente, elles décident que si d’aventure un homme venait à s’installer au village, il deviendrait l’amant de toutes, pour que la vie puisse fleurir à nouveau dans la communauté (le semeur du titre en somme). Or, d’aventure, un homme, Jean, s’installe temporairement dans le village. Une jeune vierge, Violette, parvient à le séduire mais les choses se compliquent lorsqu’ils tombent amoureux ; le partager va s’avérer plus compliqué que prévu.

Très étrange premier film que celui-là pour une histoire non moins étrange. Passons rapidement sur ce qui interpelle, dès les premières images. Le film réussit la plupart du temps son pari plastique, à savoir, une image solaire et une lumière travaillée, notamment dans les scènes d’intérieur. Les cadres et la lumière renvoient à maintes références picturales : ici le peinture de genre flamande et là, la lumière intimiste d’un clair-obscur baroque. Le choix du format 4/3 et le montage épuré ne sont pas non plus étrangers à ce sentiment d’avoir en face de soi une suite de petits tableaux vivants. Marine Francen cite Artavasd Pelechian comme influence, et c’est assez juste : le film est pastoral mais jamais bêtement pittoresque.

Pour le reste, le film a probablement pour défaut principal d’être le premier de sa réalisatrice c’est-à-dire que le ressenti global est d’être face à une œuvre qui se cherche dans bien des aspects. On comprend bien que le but du film est de livrer un ressenti très à fleur de peau, de faire avancer son histoire et de définir ses personnages par des images suggestives plutôt que par des explications simples et froides, pourtant on se demande souvent ce que la réalisatrice veut nous raconter exactement. Non pas qu’on ne comprenne pas l’histoire ou les motivations des personnages, mais plutôt pourquoi l’histoire qui nous est contée méritait d’être mise en image.

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Le cœur du problème, c’est que le film laisse un sacré arrière-goût d’impensé, voire une impression persistante qu’il est peut être passé à côté de son sujet. Pour bien cerner cela, revenons à l’histoire en elle-même : celle d’un village dans lequel les hommes sont absents ce qui créé un manque dans la communauté, mais un manque de quoi exactement ? On nous dit en somme que la communauté fait un pacte pour que la procréation revienne, et pourtant les femmes manifestent aussi un manque purement et simplement sexuel via des répliques qui sans être crues restent explicites. Pourtant ce n’est ni l’affirmation du désir sexuel des femmes du village, ni la (re)construction d’une communauté de femmes fortes isolées dans un monde d’hommes absents sur lequel se concentre Marine Francen. Ces éléments sont présents mais complètement périphériques au sujet central : l’histoire d’amour entre Jean et Violette.

L’intention en soi n’est pas mauvaise mais elle est extraordinairement frustrante, d’autant plus que l’histoire d’amour qui nous est servie est vraiment simple, et pas toujours traitée avec finesse : en témoignent une scène de prêt de livres avec des dialogues enchaînant les name-dropping gênants, ou encore la scène pivot du film dans laquelle Jean déniaise Violette, assez malaisante et engonçant les deux personnages dans des comportements vraiment très genrés. Ajoutons à cela le fait que la sexualité de Violette est envisagée avant tout comme moyen de procréer, moyen de séduction ou témoignage d’amour à un homme, mais rarement comme une fin en soi (ce qui, pour un film qui veut, d’après la réalisatrice elle-même, « montrer ce que c’est qu’être une femme », ne manque pas de sel.).

Tout ceci est d’autant plus dommage que la performance globale du casting est assez boiteuse (désolé Géraldine Pailhas), exception faite d’Alban Lenoir, plutôt juste en gentil gars un peu désorienté si on oublie une exécrable scène de lecture à haute voix. Malgré cela, il reste une envie persistante de dire du bien du film et d’encourager à aller le voir pour sa démarche plastique, sa douceur visuelle et sa délicatesse narrative. Pour peu qu’on se laisse aller, le premier film de Marine Francen est un beau voyage. Certes pas inoubliable, mais beau malgré tout.

Lino Cassinat

5/5 (1)

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