-Kornél Mundruczó ; 2017-

La Lune De Jupiter est le nouveau film du Hongrois Kornél Mundruczó, réalisateur assez inégal mais dont le précédent White God était très réussi sur tous les plans malgré un petit défaut. Le cinéaste revient donc cette fois avec l’histoire d’Aryan, réfugié doué d’étranges capacités entrant illégalement en Hongrie. D’abord parqué dans un camp, il rencontre le désabusé Dr Stern, qui, après avoir été témoin des pouvoirs (des miracles?) d’Aryan le prend sous son aile et le fait sortir de cet enfer, peu lui en importe les conséquences. Et les conséquences, c’est que Aryan et le Dr Stern sont désormais activement recherchés par la police, notamment le tenace et taciturne agent László.

 

Si pour vous tout cela ressemble à un pitch de film social, mettez cet apriori de côté, il n’en est rien (Ou presque. On va en reparler.). Le film prend en effet la forme d’une course poursuite sans repos entre les deux parias et les forces de l’ordre, et contrairement à ce qu’on appelle en gros le film social (je généralise), La Lune De Jupiter n’est pas tant un film de dialogues ou de personnages qu’un pur film d’images. Pour être synthétique, c’est EX-TRÊ-ME-MENT bien filmé, pour peu qu’on adhère au style qui est peu ou prou le même que ce qu’on peut voir dans Les Fils De L’Homme, avec des couleurs plus marquées. Pour qui n’a pas la référence, c’est simple, c’est rempli de plans séquences virtuoses défiant la gravité (je pèse mes mots). Et on s’en rend très vite compte, puisque le film s’ouvre sur son meilleur plan séquence justement (et même un de ses deux meilleurs moments tout court). Cette séquence, qui voit Aryan avec d’autres migrants fuir les militaires qui leur tirent dessus et traverser la frontière, est un petit bijou d’intensité et de suspense. Malgré la panique ambiante, la caméra reste chevillée au corps d’Aryan, virevolte fluidement, varie les angles et les valeurs de plans toujours en ayant le souci de la logique dramatique. Le tout culmine en un terrible point d’orgue (qu’évidemment on ne vous révèle pas.). Le film opère ainsi une parfaite transposition poétisée du plan séquence documentaire dans la fiction. L’effet de réel est tout simplement saisissant et donne à certaines scènes un souffle et une puissance ahurissantes. La prouesse est d’autant plus impressionnante quand on sait que le film a été fait AVEC SEULEMENT 4M D’EUROS OMGGGG pardon, restons calmes. Pour se faire une idée, on vous encourage (pour une fois) à voir la bande-annonce, très représentative de la plastique de l’œuvre.

On pourrait continuer encore longtemps, mais il faut maintenant être honnête, malgré sa perfection picturale, valant à elle seule le coup de donner une chance à La Lune De Jupiter, le film n’est pas une réussite, et c’est très très frustrant. La faute en incombe à deux écueils différents qu’on va traiter par ordre de gravité (lol). Le première chose, c’est que le film à tendance à s’éparpiller. Beaucoup de scènes viennent ainsi expliciter les deux protagonistes plus que de raisons au détriment d’autres personnages. On pense surtout à l’antagoniste László, très bon personnage complètement sous caractérisé. Ce n’est globalement pas très dommage, sauf quand cette petite lacune se cristallise. Le récit souffre ainsi d’un véritable tunnel narratif d’une vingtaine de minutes assez lourdaudes à partir du moment où le Dr Stern et Aryan décident d’exploiter le don de ce dernier pour gagner de l’argent, ce qui est déjà très saugrenu, voire vraiment WTF (c’est aussi très problématique idéologiquement mais on va y revenir). Ce trou dans le récit est pensé comme une parenthèse plus lumineuse dans le tourbillon de noirceur qui entoure les personnages, mais piétine et insiste sur leur équivalent de relation père-fils AU CAS OU ON AURAIT PAS COMPRIS. On comprend que le but était de desserrer un peu l’intrigue avant de la faire repartir de plus belle, mais aucun enjeu ou propos supplémentaire n’est assez approfondi pour maintenir l’attention. À la place, on nous propose de faire le tour de personnages secondaires trop lisses mais censé fournir un condensé de la société hongroise (tout y passe, le gros riche, la prostituée, le junkie blablabla), dans le pire de la tradition didactique du film social (tiens donc?). On est tout à fait conscient que La Lune de Jupiter a en son cœur un propos très politique, mais il n’y avait pas du tout besoin de l’alourdir.

Malheureusement, et c’est le second problème de cette séquence, et de loin le plus gros souci même du film, Kornél Mundruczó se prend violemment les pieds dans le tapis idéologique dans ces scènes. On comprend que Kornél Mundruczó ait voulu mettre la société de son pays face à ses turpitudes xénophobes, et c’est tout à fait louable. L’idée était même très belle sur le papier: confronter une société renfermée et maussade au merveilleux (littéralement) venu de l’étranger, son contact étant nécessaire au ré-enchantement (là aussi littéralement) de la vie. Sauf que si on prend du recul et qu’on regarde froidement ce qui est projeté à l’écran, ce qu’on voit, c’est un citoyen légitime qui exploite le don merveilleux d’un étranger clandestin pour gagner de l’argent. On est vraiment pas loin d’un désagréable topos raciste avec un monsieur Loyal et son bon sauvage qui apporte de la joie au cœur aux bonnes gens grâce à son innocence. Ce qui interpelle, c’est que cette séquence n’est pas traitée frontalement avec ironie, il n’est jamais sous-entendu par exemple que les personnages, contraints d’agir ainsi par les circonstances, reproduisent et donc alimentent malgré eux un système pourri. La situation est de fait positive pour tout le monde : la société hongroise en tire une motivation à exister (avec en plus un parallèle christique très bancal) et Aryan et le Dr Stern un moyen de subsister. Le truc, c’est qu’on pourrait se dire que c’est seulement une maladresse, malheureusement il y en a d’autres vraiment très gênantes. On ne l’a pas évoquée jusque-là, mais sachez par exemple qu’il y a une scène d’attentat dont l’auteur n’est rien de moins qu’un réfugié syrien qui sous ses airs innocents est passé entre les mailles du filet à la frontière. La présence de cette deuxième image d’Epinal du migrant (et cette dernière est vraiment puante, c’est littéralement le terroriste caché au milieu de la foule de réfugiés qui fait fantasmer les extrêmes droites) est complètement contre-productive par rapport au propos général du film, ouvertement empathique avec les réfugiés et en faveur d’un accueil plus humain.

On a envie malgré tout de reste sur une note positive, ne serait-ce que pour le travail sur les plans séquence délirants, mais le film laisse un arrière-goût très amer, à cause de ces indélicatesses peu nombreuses mais assez lourdes de conséquences et ses personnages inégaux. C’est d’autant plus triste que quiconque connaît un peu le cinéma de Kornél Mundruczó sait qu’il est un cinéaste profondément travaillé et peiné par les idées fascisantes qui gouvernent son pays à l’heure actuelle. En témoigne White God, sorte de fascinante et tragique élégie profondément émouvante de son thème phare depuis deux films, l’altérité, l’Autre. Cette évocation élégiaque de l’Autre ressurgit d’ailleurs dans une scène de La Lune de Jupiter, de loin la plus belle du film, quand Aryan rend visite à un homme seul dans son appartement.. Le réalisateur, affranchit son personnage de toutes les règles physiques par les moyens du cinéma, et lui offre la possibilité de ne plus être simplement réduit à son statut de quantité négligeable, de paria de la société. La réalité terrienne décroche le temps d’une séquence, et l’univers se réorganise dans un tourbillon autour d’Aryan, incarnation pure de l’Autre, appelant à l’aide et pourtant diabolisé et déshumanisé par les congénères. Aryan, transcendé par la fiction et le cinéma s’impose comme le nouveau centre de gravité (physique et idéologique) du monde pendant cet instant de grâce et d’harmonie dans un appartement miteux . Pendant ces quelques secondes, le cosmos s’est réorganisé et les astres se sont ré-arrangés tels qu’ils devraient être dans l’ordre de la nature, car cette fois ce n’est pas Aryan qui a gravité autour de la Hongrie, c’est la lune de Jupiter, Europe, qui a tourné autour d’un réfugié syrien.

Lino Cassinat

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