-Kornél Mundruczó : 2014 –

White God de Kornél Mundruczó raconte l’histoire de Lili est une jeune ado forcée par son père à abandonner son chien Hagen pour ne pas payer un lourd impôt, dans une Hongrie fictive (ou pas) où les bâtards sont indésirables, traqués pour être piqués. Le périple de Hagen va être le point de départ d’une révolte canine de grande ampleur.

 

Le film porte une parabole politique: la naissance du sentiment de révolte dans un groupe oppressé quelqu’il soit (même animal). La présence de cette parabole et d’évènements extraordinaires, presque surnaturels, fait passer dramatiquement le film dans le registre du conte philosophique, qui propose une relecture affutée du conte du joueur de flûte, transcendant le projet d’origine du film, beau mais peut-être un peu naïf, et permettant, comme le conte en question, de questionner l’altérité, comment nous la construisons et comment nous vivons avec. Le choix du chien n’est d’ailleurs probablement pas anodin: « meilleur ami de l’homme », et pourtant, par nature, à jamais « autre » incompréhensible et inférieur, pas même « autrui ».

Mais ce qui fait tout le sel du film, c’est qu’il ne fait pas que constater cette distance mais propose aussi un moyen de l’annuler: le tour de force hallucinant du métrage, c’est sa capacité à humaniser le chien Hagen par la mise en scène. La scène du combat de chiens est à ce titre un spectacle proprement vertigineux: à aucun moment un mouvement de conscience humaine ou un trait anthropomorphique n’est attribué à Hagen et pourtant par un simple champ-contrechamp et un resserrement du cadre sur la tête du chien, un univers infini de questionnements humains crève l’écran, et c’est toute l’horreur de l’acte de tuer et l’absurdité du monde qui semble tomber sur Hagen, et par ricochet sur le spectateur.

White God ne se contente donc pas de puiser dans le conte philosophique mais s’inspire aussi de mythes grecs. Incapable de reconnaître son semblable et de se rendre compte qu’en s’en prenant à l’autre, il s’en prend à lui-même, l’homme, le white god, cruel et ironique, a rendu nécessaire (au sens philosophique) une révolte perdue d’avance: les chiens se rebellent contre métaphysiquement plus fort qu’eux et se rendent coupables d’hybris, avec Hagen en triste héros tragique cousin de Prométhée. Mais encore une fois, le film surprend par sa dernière séquence, qui se refuse à montrer la résolution de la tragédie grecque typique (le châtiment), trop horrible, et le laisse suggérer par une réplique, la dernière de Lili. Ainsi, le plan final, d’une indicible beauté mélancolique, nous laisse dans le flottement cotonneux d’une communion enfin atteinte entre humains et chiens, le dernier moment de paix des chiens, résignés à leur fatalité et apaisés par quelques notes de trompettes, avant leur exécution programmée.

Lino Cassinat

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