-Francis Lee ; 2017-

Jeune agriculteur d’une ferme du Yorkshire, Johnny vit avec son père souffrant de paralysie partielle et sa grand-mère. Comblant sa solitude et ses regrets par l’alcool et des histoires sans lendemain, c’est avec méfiance et appréhension qu’il accueillera Gheorghe sur l’exploitation familiale, immigré roumain venu chercher argent et expérience en Angleterre. De cette rencontre naîtra une histoire d’amour complexe mais évidente qui bouleversera à jamais la vie de Johnny et celle de ses proches.

Ce qui marque d’emblée dans Seule la terre – de son plus beau et significatif nom anglais « God’s Own Country » – c’est tout le respect avec lequel son réalisateur appréhende le monde paysan. Un milieu rude, sur les plans moral et économique, rythmé par un labeur de chaque instant, consacré aux vaches et moutons de l’exploitation. Un quotidien auquel se plie difficilement Johnny, incarné par le talentueux Josh O’Connor – à suivre – qui préfère les beuveries et le sexe à l’austérité de sa fonction. Élevé par un père rustre et une grand-mère autoritaire, le jeune homme s’enfonce dans un comportement auto-destructeur que viendra briser l’arrivée de Gheorghe. Ce saisonnier roumain introduit, en raison de son origine mais également de son caractère totalement neuf, lui qui n’a jamais fréquenté la ferme, un souffle salvateur dans la vie de la propriété. Son amour des bêtes, son expertise et sa patience en font un allié de taille pour Martin Saxby, chef des lieux incarné par le brillant Ian Hart, et forcera progressivement le respect de Johnny auparavant bien réfractaire face à cette nouvelle recrue. De leur travail commun ressort une noblesse incontestable, traduite dans la mise en scène naturaliste de Francis Lee. Construite sur une image au grain prononcé, l’oeuvre s’apparente au documentaire dans sa forme comme dans l’implication de ses réalisateur et interprètes. Des acteurs qui ont appris le métier d’agriculteur et de berger au cours du tournage, eux qui ont pu s’acclimater à la ferme familiale du metteur en scène. Ce travail d’apprivoisement entre Homme et nature confère à Seule la terre toute son authenticité et traduit l’amour que porte Francis Lee au monde agricole, hérité de son histoire familiale. Un respect et une admiration que l’on observe également dans la manière qu’a le cinéaste de filmer les paysages du Yorkshire, nature brute et austère balayée par des vents violents qui offre cependant à ses habitants des moments de quiétude et de beauté à couper le souffle. Autant de séquences qui nous placent en immersion et en communion avec les personnages, à l’image de Gheorghe dont on partage le plaisir face à ce que lui offre cette nature adoptée.

Pyramide

C’est avec autant de sensibilité qu’est représentée l’histoire d’amour liant Johnny et Gheorghe. Deux hommes qui ont appris à s’apprivoiser, passant d’une relation brutale à un amour d’une simplicité et d’une douceur désarmantes. Impossible de ne pas penser à Brokeback Mountain en observant la naissance de cette liaison, les deux hommes apprenant peu à peu à se dompter malgré leurs surprise et réticences premières. Moins développée que dans l’oeuvre d’Ang Lee, cette romance n’en demeure pas moins le coeur du film et offre l’une des plus belles histoires d’amour de cette année cinématographique. Elle permet notamment à son principal protagoniste de s’épanouir, lui que l’on voit découvrir et accepter ses sentiments amoureux, non sans quelques luttes et souffrances. Ce récit initiatique s’affranchit par ailleurs de l’acceptation tant personnelle que familiale de l’homosexualité pour se concentrer sur la peur de l’engagement et de l’abandon de son héros. Un point de vue intéressant dans un monde paysan habituellement représenté dans ses aspects traditionnels voire réfractaire au changement, à la différence des parents de Johnny dans ce cas-ci. Figures centrales de cette romance, Alec Secareanu et Josh O’Connor se montrent éblouissants, et réussissent à incarner cette histoire d’amour délicate, complexe et réaliste avec brio.

Dans un style bien différent des Gardiennes de Xavier Beauvois, Seule la terre traite intelligemment et avec une grande sensibilité du monde paysan. En s’entourant d’acteurs talentueux, aussi bien pour ses premiers rôles que pour ses personnages secondaires, Francis Lee livre une histoire d’amour bouleversante qui n’allège en rien tout le caractère social de son œuvre. On ne peut que saluer ce premier long-métrage qui fait montre de toute la sensibilité de son metteur en scène et que l’on se doit de soutenir en salles.

Camille Muller

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