-David Lowery ; 2017-

Jeune couple ayant emménagé dans une maison au Texas, C et M s’aiment, se disputent, peinent à se comprendre. Lorsque C meurt dans un accident de voiture, M se retrouve confrontée au deuil et à une insurmontable solitude à laquelle assiste, impuissant, son défunt mari revenu sous un aspect fantomatique.

Une morgue. Un brancard. Un cadavre qui se soulève sous son drap immaculé. Il a suffi de ces maigres éléments à David Lowery pour redonner vie à C, incarné par un Casey Affleck mutique, transformé en spectre à la fois touchant et étrangement menaçant. Un fantôme que l’on croirait sorti de notre imaginaire enfantin, voire de nos tentatives échouées de déguisements, drap oscillant entre grotesque et tragique, observant de ses yeux béats et sans fond son monde s’effondrer pas à pas. Un spectre donc, capturé au format 1:33, carré de cinéma qui nous plonge immédiatement dans l’atmosphère intime du long-métrage tout en nous renvoyant avec douceur aux premiers âges du septième art. C’est chez lui que reviendra le défunt, dans ce lieu qui a abrité son « histoire », comme il le clamait à sa compagne au cours d’une dispute. Inséré dans ce décor familier, le fantôme ne fait pas tâche, mais s’intègre parfaitement au lieu, sa présence n’étant nullement questionnée par la rationalité du spectateur. C’est là l’une des multiples réussites de ce film que de donner toute sa cohérence et sa force à ce personnage sorti pourtant tout droit de notre imaginaire, revenu des morts pour retrouver M, veuve à laquelle Rooney Mara prête ses traits. Une actrice dont on peut encore une fois admirer toute la maîtrise, liant fragilité, douceur et spleen, elle que l’on observera s’effondrer au cours d’une séquence à la longueur conséquente. Une scène qui marque bien la volonté du réalisateur de laisser émerger sens et émotions, introduisant le spectateur – devenu spectre lui aussi – dans cette construction en plans fixes et contre-champs habilement positionnés. Un choix esthétique qui embrasse la position de son héros fantomatique, observateur impuissant de la tragédie qu’il a lui-même choisi d’endurer.

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Cette immersion contribue à la croyance portée en l’existence de C, processus qui nous renvoie au style du conte et à notre crédulité enfantine. Une capacité d’imagination et d’adhésion à laquelle le réalisateur fait hommage, l’innocence d’un petit garçon le rendant seul capable de voir le fantôme qui hante sa nouvelle maison. S’affranchissant d’emblée des limites du réel, David Lowery permet à son personnage d’avoir un impact tangible sur le monde et les êtres qui l’entourent. Renaît alors la peur du surnaturel avec laquelle joue habilement le metteur en scène, faisant du spectre un être tour à tour menaçant ou touchant, au gré des variations de son thème musical. Une complexité qui fait du défunt un héros d’autant plus réaliste, lui qui conserve ses propres émotions et qui encaisse une à une les désillusions. A Ghost Story, une histoire de fantôme donc, évite de sombrer dans la contemplation pompeuse – à l’image de The Tree of Life (qui n’en demeure pas moins une oeuvre magistrale) – pour s’attacher à l’humanité de ses personnages et à une narration tout en modestie. Conte mélancolique à la photographie douce et réconfortante, ce film triomphe dans son récit de l’intime et de la suggestion. C’est lorsqu’il tente d’asséner ses visions – certes intéressantes – sur le monde que le cinéaste s’égare, à l’image d’un discours enflammé d’un artiste éméché lors d’une soirée ; ou de la représentation désespérante du monde à venir, si ce n’est de notre monde tel qu’il est déjà. En jouant avec le temps et l’espace, David Lowery prouve tout son talent de conteur et le pouvoir exceptionnel du cinéma sur notre imaginaire. Un pouvoir tel que malgré son maigre accoutrement, Casey Affleck sait encore une fois nous surprendre et nous toucher, à coups de déambulations et de paroles muettes, somptueux paradoxe offert par l’art du sous-titrage…

En dépit d’un début quelque peu poussif et de lourdeurs de discours, A Ghost Story est une petite merveille porté par un duo d’acteurs choisi à la perfection. Pleine d’un spleen enveloppant, cette oeuvre se montre touchante et en un sens, lumineuse. Se jouant des logiques du temps et de l’espace, ce long-métrage de David Lowery manie habilement de thèmes cruciaux tels que le deuil, l’amour et l’oubli ; humble conte qui redonne toute sa noblesse au lieu comme socle de mémoire.

Camille Muller

 

1.5/5 (2)

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