Jean-Claude Van Damme livre cette année une étonnante série pour Amazon, dans laquelle il joue avec son image avec belle émotion et une maîtrise conceptuelle qu’on attendait pas de la part d’une star d’action bourrin des années 90 sur le retour.

Ce n’est certes pas la première fois que le Belge utilise une narration meta pour se mettre à nu (on se souvient du très bon JCVD). Mais cette fois le bouchon est poussé très loin, à la frontière même d’un certain masochisme, pour un résultat dont les imperfections s’effacent devant la maîtrise absolue d’un triple personnage meta et la profondeur d’un autoportrait dur et sensible.

La série Jean-Claude Van Johnson raconte l’histoire de Jean-Claude Van Varenberg alias Jean-Claude Van Damme, Belge installé en Amérique où il est une star de films d’action, retirée dans son morne quotidien. Mais tout cela n’est qu’une façade : Jean-Claude Van Damme est en effet le nom de couverture de Jean-Claude Van Johnson, un agent qui accomplit des missions secrètes pour une organisation dissimulée derrière une agence pour acteurs. Or, par amour, Jean-Claude Van Johnson veut reprendre du service… ce qui implique également un comeback de Jean-Claude Van Damme, l’acteur. Jean-Claude Van… chose, enfin, JC va devoir se remettre au niveau, affronter ses démons intérieurs et accepter qui il est vraiment. Et casser des bouches, évidemment.

JEAN-CLAUDE, JEAN-CLAUDE… ET JEAN-CLAUDE

Ce n’est peut être pas une évidence, mais le récit est sur le papier d’une complexité affolante. Si dès les prémices, Van Damme jongle entre deux identités, un troisième niveau de lecture vient se greffer petit à petit avec Jean-Claude Van Varenberg (vrai nom de naissance de JCVD). L’incroyable tour de force de la série réside dans la limpidité de son écriture, malgré un personnage principal dont la perpétuelle quête de soi est le principal moteur du récit.

Et cela n’a rien d’une interprétation : la série démarre certes avec une romance pas très palpitante, mais elle est vite évacuée pour remettre au centre du récit un homme explicitement décrit comme désespérément en quête de reconnaissance, comblant le vide de son coeur avec des personnages construits de toutes pièces. Van Damme laisse tomber l’armure et offre une performance d’acteur remarquable, exposant absolument toutes ses faiblesses et ses peurs – notamment celles de ne jamais être aimé et de ne manquer à aucun public. Logiquement, Jean-Claude Van Johnson n’hésite pas à mettre brutalement l’acteur en proie au doute, dans de mauvaises postures à de très nombreuses reprises.

La star avance ainsi comme un clown triste, entre l’incompétence gaguesque et le ridicule burlesque, pour mieux pulvériser l’image invulnérable du personnage d’action et laisser place à l’homme meurtri et dépressif. Et pourtant, il trouve toujours un moyen de se sortir des pires situations grâce à une espèce de magie de cinéma imprévisible. Il est ainsi fréquent qu’une séquence ayant démarré de manière réaliste glisse vers autre chose, change de niveau de réalité, et bascule avec des événements qui auraient été improbables 30 secondes auparavant. Comme si le personnage principal pouvait, par contamination, changer le ton du récit en fonction de son affect.

C’est là l’autre grande réussite de la série Amazon : les péripéties se permettent beaucoup d’écarts jouissifs et d’entorses au réalisme, jusqu’à même un certain WTF scénaristique dans l’épisode 4, sans que cela ne soit gratuit, ni même que cela laisse le spectateur le cul entre deux chaises.

En découle un récit souple, imprévisible, drôle et rafraîchissant, et qui en plus se permet le luxe de distribuer quelques taquets très bien sentis, notamment à une certaine hypocrisie raciste hollywoodienne. Jean-Claude Van Johnson brille également par son traitement de ses personnages secondaires (notamment Vanessa et Luis), qui ont tous droit à leur moment de gloire. Même Filip, le sosie couard, et la bimbo blonde à petit chien (vous allez être surpris). Jamais réduits à de simple faire valoir, ces personnages sortent très rapidement de l’ombre du protagoniste pour exister comme des badass, par et pour eux-mêmes.

JCVJ, JCVD ET JCVV SE CHERCHENT

Malheureusement, tout n’est pas rose et la série n’est pas exempte de défauts. On pourrait déjà évoquer un premier épisode dangereusement bancal qui fait partir la série sur un assez mauvais pied. Mais le plus gros problème reste la photographie et la direction artistique en général, et particulièrement dans les séquences d’action pure.

Si le découpage assure toujours une parfaite lisibilité de l’action, il manque tout de même cruellement d’ambition et de rythme. Le tout est malheureusement accompagné d’un travail plastique qui a certes ses bons moments, mais reste globalement terriblement quelconque. On apprécie que Jean-Claude Van Johnson ne veuille pas en faire des caisses pour laisser toute la place aux fabuleux personnages ; il n’empêche qu’en l’état, le résultat à l’écran est beaucoup trop sentencieux et sage.

Ce qui est paradoxal, parce que les effets de style ne manquent pas. Mais ils sont rarement bien sentis et retombent souvent comme un soufflé. Rassurez-vous : la série ne se plante jamais complètement. Reste qu’on est un peu tristes de se contenter de scènes d’actions sympathiques mais un peu molles, alors qu’on a JCVD à bord.

Peut-être pour des questions de budget, les décors se révèlent assez inégaux et parfois vraiment pauvres. Vous n’échapperez ainsi pas au hangar, au complexe industriel ou à la villa protégée. Mais c’est peut être aussi le signe que si Jean-Claude Van Johnson a su écrire de très beaux personnages atypiques, elle se cherche encore en terme d’identité visuelle.

Il lui manque clairement un grain de folie, malgré des situations souvent rocambolesques qui sont parfaitement réjouissantes. Comme l’idée d’une course de drift les yeux bandés, ou encore une baston en plein tournage d’une relecture Van Dammesque d’Huckleberry Finn, mêlant cascadeurs innocents en habits confédérés et vrais Bulgares mafieux armés, le tout dirigé par un insupportable réalisateur hipster.

JC I LOVE YOU

Pourtant, toutes ces vraies faiblesses sont finalement peu de choses au regard de la très belle histoire et d’un finale riche en émotions, véritable appel à l’aide de la part d’un homme de 57 ans dont on comprend qu’il s’est toujours trouvé passablement médiocre. Et lorsque Jean-Claude Van Varenberg dit enfin « I love you » à Jean-Claude Van Damme, on ne veut que répondre « I love you too » à Jean-Claude Van Johnson. Rassurez vous, ce n’est pas un spoil.

En six fois 30 minutes, le temps n’est jamais long ni désagréable en compagnie de Jean-Claude Van Johnson, série complexe et pourtant très limpide. L’écriture est vraiment le gros point fort de l’œuvre : audacieuse, drôle et surtout très touchante dans son portrait introspectif d’une star qui se méprise elle même.

Cependant, s’il y a une saison 2 (et on le souhaite), il va vraiment falloir mettre le paquet pour se renouveler, dynamiser l’ensemble, et surtout trouver une identité visuelle forte.

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Lino Cassinat

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