-Ziad Doueiri, 2018-

Déjà lauréat de la Mostra de Venise (Meilleur acteur), et en course pour le Meilleur film étranger aux Oscars, L’Insulte raconte comment une simple histoire de dispute entre particuliers va mener un pays au bord d’une nouvelle guerre civile.

 

Un film captivant

Toni Hanna (brillamment interprété par Adel Karam) est un citoyen libanais parmi tant d’autres. Il travaille comme garagiste à Beyrouth. C’est un homme comblé, marié et bientôt père. Un jour, il refuse que deux ouvriers lui réparent sa gouttière. Ils le font tout même car son installation n’est pas réglementaire et que la ville de Beyrouth leur a demandé de tout mettre aux normes. Mais Toni ne l’entend pas de cette oreille et casse la gouttière nouvellement mise. C’est alors que le contremaître du chantier, Yasser Salameh (joué avec justesse par Kamel El Basha), sur le coup de l’irritation, le traite de « sale con ». Toni va alors demander à ce qu’il présente ses excuses. Au bout de huit jours, Yasser se présente finalement pour s’exécuter. Mais Toni va commettre une erreur : celle de prononcer une phrase anti-palestinienne, nationalité d’origine du contremaître. Ce dernier, sous le coup de la colère, frappe le garagiste aux côtes.

Suite à cet incident, l’affaire est portée dans un tribunal local où le juge conclut qu’il n’a pas assez d’éléments pour pouvoir juger dignement Yasser et l’acquitte donc. A partir de là, tout s’accélère. Toni fait appel de cette décision. Les deux protagonistes se retrouvent alors confrontés à un procès éprouvant, dans lequel les deux avocats se crêpent presque le chignon. Au fur et à mesure, le procès prend une ampleur sans précédent. D’une dispute entre deux particuliers, on glisse vers un duel entre libanais chrétiens et réfugiés palestiniens. Cette évolution s’observe à la mise en scène, par le remplissement progressif de la salle dans laquelle se déroule le procès au fil des jours. La tension devient de plus en plus palpable. L’atmosphère tient ainsi le spectateur en haleine, avide de découvrir l’issue de ce procès hors du commun.

 

Tout est politique ?

L’Insulte, c’est avant tout un film sur les cicatrices, parfois persistantes, qu’a laissé la guerre civile des années 1990 au Liban. Toni voit les palestiniens comme des fauteurs de trouble et nourrit une haine particulièrement marquée envers eux. Yasser semble être un homme, au contraire, remplit de compassion et qui a eu le malheur de se laisser emporter qu’une seule fois face à des paroles de haine. Mais bien vite, cet antagonisme s’efface. Au procès on découvre une face plus noire de Yasser. Parallèlement le passé douloureux de Toni est exposé. On se retrouve donc face à des personnages complexes. Les deux hommes sont condamnables et pourtant attachants, chacun à leur manière. Ce souci de ne pas livrer un film manichéen est l’une des grandes forces de L’Insulte qui rappelle que personne n’a le monopole de la souffrance.

 

En outre, le film pose les jalons d’un questionnement intéressant sur la politique, et plus particulièrement sur la fonction des mots. En effet, même si Toni a prononcé des paroles de haine envers Yasser dans un cadre privé, ses mots ont une portée symbolique forte. Malgré lui, ses propos s’attaquent à un sujet politique sensible qui est la cause palestinienne et, même si en tant qu’individu il n’exprimait qu’une pensée personnelle, il se retrouve mêlé à un conflit politique qui le dépasse. En ce sens, le long-métrage montre que toute parole, même inconsciemment, est politique. Cela entraîne aussi une interrogation sur le degré de condamnation de ses paroles. Est-ce un discours incitant à la haine ? Peut-on considérer une parole déplacée, prononcée en privé, de la même façon que si elle avait été prononcée en public devant une audience ? Le débat sur la liberté d’expression et ses limites ne trouve pas de réponse claire à la fin du film, laissant ainsi les spectateurs réfléchir à la question en prenant en compte les différents arguments développés dans le film.

En définitive, L’Insulte est un film passionnant au scénario bien construit, porté par des acteurs qui offrent des performances admirables. C’est une œuvre qui réussit à aborder des sujets sensibles avec beaucoup de subtilité et sans binarité. C’est un long métrage qui pousse à réflexion et nourrira sans aucun doute des débats, bien après la fin du film.

Amélie G.

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