– David Gordon Green ; 2017 –
Presque un an après la sortie du très bon Patriots Day de Peter Berg, qui abordait le sujet des attentats de Boston dans une perspective réaliste et centrée sur la traque des deux terroristes, c’est au tour de David Gordon Green de nous livrer son récit des événements, en épousant le point de vue de Jeff Bauman, une victime devenue le symbole de la tragédie du 15 avril 2013. Bien moins grandiloquent, Stronger est le récit touchant de la reconstruction de l’homme derrière le #BostonStrong, qui fait alors face à une popularité oppressante.
Une nouvelle fois oublié par les Oscars (Southpaw, Prisoners, Nightcrawler, … on ne compte plus les rôles pour lesquels l’acteur aurait pu décrocher -au moins- une nomination depuis Le secret de Brokeback Mountain), Jake Gyllenhaal incarne avec une impressionnante justesse le rôle de Bauman, dévouant au récit tout son talent. Si Tatiana Maslany sublime elle aussi la réalisation dans le rôle d’Erin, on regrettera peut-être la plupart des seconds rôles, qui peinent à ne pas plonger dans la caricature d’une Amérique des marges, alors même que David Gordon Green met du cœur à brosser le portrait d’un pays uni, sans pour autant se complaire dans un patriotisme malvenu, et ce en s’appuyant sur l’étonnant cynisme de son personnage principal. En cela, Jeff Bauman interroge non seulement le rapport des États-Unis à ses héros (et, inévitablement, à ses soldats, en abordant notamment la question du suicide et de l’état de stress post-traumatique), mais aussi la position du pays dans sa lutte contre le terrorisme, le jeune homme faisant plutôt observer la perte de ses jambes que sa survie lorsqu’il est interrogé sur une possible victoire de Boston face au terrorisme.
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Drame psychologique et intimiste, Stronger montre avec une certaine pudeur la tragédie du marathon, en choisissant par exemple de garder le visage du terroriste dans le flou et, pendant la majeure partie du long-métrage, en n’évoquant les conséquences directes de l’explosion qu’à travers des souvenirs brefs du personnage ; ceci permet par ailleurs de susciter davantage d’horreur lorsque Bauman finit par accepter ce souvenir et que l’on découvre l’ampleur de l’attentat. Le jeune homme est donc lui-même sujet aux symptômes post-traumatiques, arraché à l’anonymat de la vie civile, et se retrouve étouffé par les projecteurs, aveuglé par les cris de la foule. Cette notoriété soudaine accompagne la monstration progressive de l’horreur : en début de parcours, le cadre coupe de façon récurrente les jambes de Jeff, alors valide, puis, lorsqu’il est blessé, ses jambes restent d’abord dans le flou, pour progressivement être montrée, à mesure que le jeune homme accepte son infirmité, jusqu’au point culminant de la mise en scène du théâtre de l’explosion précédemment évoquée.
David Gordon Green multiplie les plans serrés sur ses acteurs et affirme ainsi l’impression de proximité avec le récit de Bauman ; peut-être cette utilisation du gros plan vient-elle par ailleurs corroborer le sentiment d’asphyxie ressentie par ce dernier, y compris dans le cadre familial. Le spectateur fait en ce sens partie de la foule qui acclame Bauman, et il est invité à reconsidérer son rapport à des individus brisés par le terrorisme et propulsés contre leur gré sur le devant de la scène médiatique, alors même que le cinéaste souligne l’impensable épreuve qu’est la reconstruction identitaire après une telle tragédie.
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Irréprochable, la mise en scène de David Gordon Green offre une vision tout à fait poignante et humaine du drame de Boston, tout en repensant le rôle des médias et de la société. Sorte de miroir civil de Billy Lynn, Stronger met en lumière l’histoire d’un homme-symbole à la lucidité et au courage presque inexprimables, et dont la plus grande victoire aura sans doute été bien plus celle de l’esprit que celle du corps.
Vincent Bornert
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