Dès le premier plan, l’évidence est posée : nul autre que Vincent Macaigne n’aurait pu incarner aussi bien Jacques Blanchot. Un homme qui écoute, impuissant, sa femme lui annoncer qu’elle est devenue allergique à leur vie commune, abordant avec un cynisme sans borne la question sous-jacente de leur séparation. Une rupture que Jacques ne comprend pas immédiatement, lui qui espère qu’après quelques jours à l’hôtel et un chien, tout retournera dans l’ordre. Il ignore alors que cet événement n’est que le premier d’une longue série de malheurs qui s’abattront sur sa vie monotone de Monsieur-tout-le-monde.
Adapté du roman du réalisateur, Chien conte l’histoire d’une dépression. La lente descente aux enfers de son héros, maltraité par ceux auxquels il tient le plus, en commençant par sa femme et son fils adolescent. Un homme ordinaire, qui prend les traits tirés et apitoyés de Vincent Macaigne dont on savoure chaque apparition, lui dont l’innocence nonchalante se prête parfaitement à ce rôle de héros résigné. Un protagoniste qui accepte, et avec le sourire, tous les malheurs qui lui tombent dessus, de son divorce habilement calculé par sa femme à son licenciement par son patron borderline (excellent interprète au nom malheureusement introuvable…) à la maltraitance qu’il subira de la part du dresseur Max. Un rictus tout d’abord sincère et déconcertant de naïveté, tant il traduit la bonté aveuglée du personnage alors que tout et tous s’acharnent contre lui. Un sourire de chien fidèle justement, bien décidé à croire en ses maître.s.se alors même qu’ils.elle le batte.nt allègrement. Un sourire effrayé ensuite, lorsqu’il comprend qu’on abuse bel et bien de lui, alors qu’au silence succèdent les cris de douleurs. Au-delà de son cynisme et de son voyeurisme quant à la douleur et à la lente humiliation de son personnage principal, Chien déconcerte en raison du plaisir que cet homme nourrit dans sa chute. Fable de soumission, l’œuvre nous montre également avec quelle satisfaction Jacques se laisse aller à l’abaissement, à l’humiliation, semblant jouir de cet effacement progressif de son identité, de ce qui fonde son être.
Représenté tour à tour par sa femme glaçante et manipulatrice, voire même son fils insensible et menteur, puis par l’ogre dresseur de chiens, ce pouvoir accepté par le soumis confère au film toute sa violence. Qu’elle soit physique ou verbale, cette sourde menace est le fil rouge du récit, enfonçant toujours plus profondément son héros dans l’oubli de soi. Ainsi, Bouli Lanners incarne à la perfection cet homme incontrôlable qui se perd lui-même, tour à tour séduisant puis menaçant. Un protagoniste qui représente l’autorité à la fois effrayante et rassurante à laquelle s’attache incontestablement Jacques, lui dont le regard admiratif contemple son nouveau maître. Un maître qui l’intègre à sa vie, à ce quotidien miséreux fait de magouilles et d’une triste monotonie, à l’image de tous les personnages du récit. Des hommes et des femmes ancrés dans un cadre spatial inerte, une zone industrielle vide d’âmes, seulement secouée par le malheur, à l’image du tragique destin de Jacques ou d’une collision de deux hélicoptères suivant leur inévitable et risible trajectoire. C’est à coups de plan larges et fixes que Samuel Benchetrit nous assène cette misère poisseuse et lourde, secouant cette monotonie par un montage habile, nerveux et incisif lorsqu’il s’agit de précipiter les nombreuses chutes de son héros.
Pleine d’une noirceur et d’un cynisme à la fois délicieux et effrayant, Chien est une œuvre originale et marquante. Portée par l’interprétation sans faute de son trio d’acteurs, elle prouve une fois encore tout le talent de Macaigne, lui qui incarne un héros voué au malheur. Un malheur somme toute salvateur, son lent oubli de soi le conduisant finalement à la plénitude, chien parmi les Hommes. Un être non dénué de pensée mais considéré par ses semblables comme étranger, ce qu’il semblait par ailleurs déjà susciter de sa vie d’homme. Cette fable tragi-comique nous amène à un triste constat : mieux vaut être chien et profiter des plaisirs simples de l’existence, aimant et étant aimé par ses proches, plutôt que de subir, humilié et violenté, une vie humaine miséreuse. Ne vous méprenez pas toutefois, malgré une mélancolie certaine, accentuée par une bande son tout bonnement parfaite, Chien se montre drôle et attachant, à l’image de son rôle-titre.
Camille Muller
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
Les filles d’avril de Michel Franco : combat de mères
Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)