– Julia Ducournau ; 2017 –

Élève exemplaire entourée de parents aimants, Justine débute sa première année d’école vétérinaire, venue rejoindre son aînée en charge de son bizutage. Commence alors un récit d’initiation éprouvant pour la jeune femme qui va appréhender d’une manière bien particulière son rapport au corps, que ce soit le sien propre et celui des autres.


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Grave met en scène le passage de la puberté à l’âge adulte, traversant les évolutions connues du changement corporel et de la prise d’indépendance, suivant de près une héroïne en pleine mutation. Le film nous plonge dans un environnement bien particulier qu’est celui du post-bac, soumis à un bizutage plus ou moins violent des nouvelles recrues, victimes fraîchement débarquées à l’école. Humiliations, soirées et gages en tous genres sont le quotidien des bizuts, soumis à l’autorité semble-t-il hors norme de leurs supérieurs. Au milieu de ce chaos, Justine paraît dès le départ bien isolée, petite fille modèle qui a du mal à s’intégrer au groupe et à se fondre dans cette entité. Sa grande sœur Alexia – Ella Rumpf, flippante à souhait –  compte bien lui montrer la voie, usant de sa supériorité sociale et fraternelle pour initier sa cadette. La première soirée de l’héroïne, vibrant au son de « Despair, Hangover and Extasy«  de The Do, est représentative de cet environnement à la fois libérateur et normé où l’appartenance au groupe et la soumission à ses codes forment des règles capitales. Amphithéâtre d’une débauche tant morale que sexuelle, l’école vétérinaire représente également un héritage familial pour Justine et ses parents, eux qui ont aussi fréquenté les lieux et perpétué les traditions. Dès l’origine, l’intégration de l’héroïne à cette formation suit un schéma de prédestination évident qui deviendra de plus en plus limpide au fil de l’intrigue.

Wild Bunch Distribution

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Ce n’est pas un hasard si la réalisatrice Julia Ducournau a décidé de placer deux sœurs au cœur de son film. La relation conflictuelle liant ces deux personnages est faite de haine et d’amour, offrant des scènes d’une grande intensité. Ce lien de parenté explique le fait que les héroïnes se retrouvent continuellement, passant par-dessus leurs différends, attirées l’une vers l’autre par leur ressemblance. Car Justine et Alexia partagent un bien lourd secret qu’est leur cannibalisme. Jusqu’alors ignoré de la cadette, ce dernier a été embrassé avec passion par l’aînée, bien décidée à assouvir son animalité et à combler son désir irrépressible de chair humaine. Cette « malédiction » se révèle progressivement aux yeux de Justine, telle une maladie sinueuse et fourbe, se manifestant après que la jeune femme ait goûté à la chair animale. Dès lors, son corps mute violemment, à partir d’une réaction épidermique mystérieuse et de convulsions qui nous rappellent le fléau inquiétant s’abattant sur les jeunes adolescentes de The Fits, très beau film sur le passage à la vie adulte sorti plus tôt cette année. Animée d’une voracité quasi incontrôlable, Justine tente de refréner son appétit et de protéger ceux qui l’entourent. Un désir de chair qui se manifeste également sur le plan sexuel et transforme la jeune ingénue en prédatrice dont le passage à l’acte donne lieu à une scène d’un érotisme saisissant. Une séquence qui lie passion sexuelle et cannibale, testant à l’extrême la capacité de dénigrement de l’héroïne, atteignant l’extase au prix de la violence et du sang portés à sa propre encontre.

Wild Bunch Distribution

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En mettant en scène la lutte opposant constamment Justine à ses pulsions animales, Grave questionne notre rapport à l’humanité, non pas d’une façon faussement intellectuelle mais grâce à un traitement organique et viscéral des événements. La réalisation caméra à l’épaule, le montage de plus en plus nerveux du film ainsi que sa bande-son nous conduisent à un climax quasi-intenable. Le cannibalisme se manifeste de façon insidieuse, à travers un regard assoiffé ou des muscles contractés plus que dans des scènes d’horreur, bien que l’œuvre ne nous épargne pas le sang et la chair. Ces séquences sanglantes permettent de creuser davantage le fossé séparant Justine et sa sœur, l’une tentant de conserver son humanité alors que l’autre se laisse totalement aller à ses pulsions. Grâce à sa détermination, mélange de force et de peur face au passage à l’acte dont on ne peut revenir, Justine brise le destin auquel elle était prédestinée et marque un désir de changement propre à cette « nouvelle génération » qui atteint sa pleine affirmation dans un twist final très bien amené et maîtrisé. Parfaitement juste dans son interprétation, Garance Marillier retranscrit constamment ce combat entre la raison et la passion, traduisant dans son corps crispé et son regard halluciné toute la lutte à laquelle se livre son personnage. En plaçant la sécurité d’autrui avant ses propres désirs, l’héroïne fait preuve d’un dénigrement exemplaire et nous livre un récit initiatique plein d’énergie, de fraîcheur et… de mordant.

Camille Muller

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