– Terrence Malick ; 1979 –

Bill, Abby et Linda écument les États-Unis en quête de richesse, cumulant les jobs et les voyages sans réussir à s’extirper de leur misère. Arrivés dans la propriété d’un riche agriculteur, ils décident de monter un stratagème pour empocher la fortune du fermier destiné à une mort certaine, rongé par une maladie incurable.

Les Moissons du ciel représente le rapport unissant l’homme à la nature et leur apprivoisement réciproque. Les saisonniers s’épuisent à longueur de journée, penchés sur les champs pour tirer le fruit de leur récolte. Ce travail de longue haleine fait toute la prospérité du propriétaire, campé par un Sam Shepard taiseux mais bienveillant, dont la simplicité et la pureté crèvent l’écran. Ce dernier ne tarde pas à remarquer Aby (Brooke Williams), saisonnière à la beauté confondante, et à la courtiser. De cette rencontre naîtra une histoire d’amour puis un mariage, une vie commune en apparence idyllique se déroulant au fil des saisons et des récoltes. Malick dépeint ce quotidien avec délicatesse, immortalisant tout à la fois l’épanouissement des deux époux et la somptuosité de la nature environnante, dont la quiétude berce l’existence des différents protagonistes (Bill et Linda étant restés avec Abby, profitant de la générosité sans borne de leur hôte). La beauté des plans larges, nous offrant un panorama des champs de blé ainsi qu’une incursion dans une nature plus intimiste représentée par la rivière comme havre protecteur, confirme tout le talent du directeur de la photographie Néstor Almendros, récompensé d’un Oscar pour ce magnifique travail. La narratrice des Moissons du ciel, campée par la jeune Linda Manz, goûte avec délice cette paix constante et profite des étendues possédées par son hôte, elle qui se fantasme en « docteur de la terre ». Toutefois, et la narratrice le sait tout autant que nous, cette quiétude ne sera que de courte durée et un poison insidieux ne tardera pas à ternir ce bonheur.

Terrence Malick nous avait informé dès le début de la tragédie qui briserait l’idylle bâtie par le fermier, aveuglé par son amour pour Abby. Nous avons assisté en silence au piège fomenté par Bill, poussant Abby dans les bras du propriétaire, elle qui n’est autre que son amante de longue date. Épuisé par cette vie d’errance, il a misé sur la maladie du fermier pour s’emparer de sa richesse et offrir enfin à ses deux protégées la vie dont ils ont tant rêvé. Les trois compagnons se sont ainsi introduits dans le quotidien du propriétaire, gagnant rapidement toute la confiance de leur hôte. Cependant, malgré tout l’amour que ce dernier porte à sa femme, ce dernier ne tardera pas à avoir des soupçons quant au lien unissant Abby et Bill. Malgré leur vigilance, les amants ne savent cacher totalement leur passion et se laissent aller à des dérives impardonnables. Une fois le doute installé, le poison se répand sinueusement dans la relation liant ces trois personnages et fera sombrer leur destin commun dans le chaos. Avec une maîtrise impressionnante, Malick dévoile cette tension grandissante en filmant ses personnages avec attention et patience. Les gestes contrôlés des deux amants sous lesquels pointe un désir ardent, le regard inquiet du mari trompé et la colère difficilement dissimulée de Bill distillent un réel suspense dans l’œuvre. Véritable tragédie, Les Moissons du ciel nous laisse observer la lente descente aux enfers de ses divers protagonistes. Scène paroxystique, l’incendie est la manifestation réelle et physique de cette lutte amoureuse. Alors que des sauterelles ont envahi son champ, ravageant son dur labeur, le fermier déchaîne toute sa colère sur ce qui représente un travail de toute une vie et ravage ses récoltes dans un élan incontrôlé. Cette scène est l’une des plus impressionnantes de ce chef-d’œuvre, qui a assit définitivement le génie tant narratif que technique de Terrence Malick.

Ne manquez pas ce film d’exception, deuxième film du réalisateur de La Balade Sauvage, La Ligne rouge et Tree of Life. L’une de ses œuvres les plus réussies, incontestablement.

Camille Muller

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