– Bong Joon-Ho ; 2017 –

Okja est ce que l’on appelle un « super-cochon », créature génétiquement modifiée mise au monde par la Mirando Corporation. Une entreprise agroalimentaire à la pointe de la communication qui a parachuté dix cochons aux quatre coins du monde pour promouvoir le caractère « écologique » et « traditionnel » de son mode d’élevage et élire le meilleur super-cochon, représentatif de la réussite de ce projet hors normes. Placée dans la famille de Mija, jeune Sud-Coréenne aimante et dévouée, Okja se révèle être la meilleure représentante de la Mirando Corporation en raison de sa beauté et de sa croissance exceptionnelle. Des attributs qui feront de cet animal l’objet de multiples convoitises, le plongeant lui et Mija dans la tourmente.

D’emblée, Okja se présente comme l’allégorie de son personnage homonyme, super-cochon dont l’œuvre partage la démesure et l’énergie folle. Une créature de synthèse plus vraie que nature dont on découvre le quotidien enchanté partagé avec Mija, amies placées sur un pied d’égalité, animal et humaine vivant en parfaite harmonie. La jeune Mija, adoptée par son grand-père à la mort de ses parents, a développé avec Okja une relation de confidentes, de sœurs mais également de filiation, protégeant aussi bien qu’elle protège « son » animal. Élevée avec amour, Okja a pu s’épanouir dans un environnement idéal sublimé par la réalisation du maître coréen et en tout opposé avec la réelle entreprise de la Mirando Corporation. Un projet basé sur des créatures génétiquement modifiées et élevées en batterie, réalité totalement antagoniste au destin privilégié d’Okja. Un contraste que Bong Joon-Ho dresse immédiatement dans la construction même de son film en faisant se succéder deux séquences radicalement opposées que sont l’introduction et la rencontre avec Okja et Mija. La séquence d’introduction de l’œuvre est comparable à un spot promotionnel orchestré par Lucy Mirando, démoniaque produit du capitalisme qui présente devant un public ébahi le fonctionnement de son projet. Cette publicité mensongère martelée à coup de com’ et de graphiques kawaii démontre d’emblée toute l’ingéniosité de cette PDG campée avec talent par la légendaire Tilda Swinton. Un projet dont les rouages tranchent résolument avec le mythe du paradis perdu exploité dans les scènes suivantes en compagnie de Mija et sa fidèle amie.

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Désormais aux mains de la Mirando Corporation suite à la visite rocambolesque du Dr Johnny Wilcox (Jake Gyllenhaal comme vous ne l’avez jamais vu), Okja se retrouve parachutée à New-York, trimbalée de ville en ville au même titre que le spectateur. Un super-cochon qui fait désormais l’objet de multiples convoitises, qu’il s’agisse de l’entreprise agroalimentaire ou d’une organisation d’activistes chevronnés. Il apparaît rapidement que chaque parti veut se servir du cochon comme d’un étendard pour dissimuler ou dévoiler ses véritables objectifs. Dans cette déferlante d’intérêts contraires, Bong Joon-Ho traite chaque personnage avec un mélange de pitié et d’ironie, que ce soit Lucy Mirando tentant de racheter la réputation de l’entreprise familiale ou Jay qui essaye de mener plus ou moins efficacement les objectifs de son groupe d’activistes dont il ne cesse de clamer l’autorité. Hormis Mija, allégorie de l’innocence et de l’amour inconditionnel, tous les personnages sont appréhendés avec un regard critique qui brouille habilement les frontières du bien et du mal. Pour cause : ceux qui prétendaient protéger l’animal finissent par l’offrir en pâture aux exactions de la Mirando Corporation, aveuglés par leur désir de reconnaissance au même titre que le Dr Johnny Wilcox, paroxysme de l’orgueil qui ronge les divers protagonistes.

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Marqué par un rythme soutenu, Okja nous plonge dans la tourmente au côté de Mija (parfaite Ahn Seo-Hyeon), seule protagoniste réellement intéressée par le bien-être de son amie animale. Instrumentalisée à la fois par la Mirando Corporation et les activistes, la jeune fille subit un constant ascenseur émotionnel, enchaînant espoirs et désillusions tout au long du récit. L’une des dernières séquences de l’œuvre prouve toute la détermination et le désespoir de l’héroïne qui découvre avec horreur les coulisses de l’entreprise agroalimentaire dirigée par Lucy Mirando. L’œuvre sombre ici dans le genre horrifique, plongeant le spectateur et son héroïne dans un environnement lugubre et tragique qui évoque avec force l’imaginaire des camps d’extermination. Un milieu hostile dans lequel se précipite Mija qui explore avec désespoir tout le processus d’abattage des super-cochons. Animée par son amour pour Okja, la jeune fille tente l’impossible pour sauver son amie et combat férocement la Mirando Corporation. Épuisées mais soulagées, c’est la mort dans l’âme que les deux amies quittent les lieux, bien conscientes que leur sabordage n’aura pas permis d’enrayer l’implacable mécanique mise en place par les jumelles Mirando. Une désillusion qui évoque la fameuse maxime utilisée dans La Liste de Schindler et qui n’avait pas suffi à soulager son héros en proie à la culpabilité : « Celui qui sauve un homme sauve l’humanité ». Une phrase qui peut être transposée à l’acte de Mija, exemplaire mais non suffisant face à la barbarie de l’homme et à la marche impitoyable de la société de consommation. Cette séquence choc véhicule un fort sentiment de désœuvrement, remplacé temporairement par le bonheur du retour au foyer et la reconquête de l’innocence, soulagements qui n’occultent toutefois pas le malaise entêtant instauré par l’abattoir.

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Objet filmique polémique, Okja est un long-métrage divertissant dopé aux financements Netflix. C’est un oeuvre ambitieuse dans sa forme – avalanche d’effets spéciaux, photographie léchée, casting de talent – que dans son contenu – critique acerbe de notre société de consommation, ironie, références cinématographiques et sociétales (bonjour Monsanto). Un film qui, au même titre qu’Okja, semble parfois échapper à son créateur et un brin trop éparpillé, trimbalant son spectateur d’une situation à l’autre sans trop lui laisser le temps de s’en imprégner. Il n’en demeure pas moins que ce dernier film de Bong Joon-Ho se montre remarquable dans son message éthique et ne se laisse jamais aller à la facilité du manichéisme. Au même titre que son personnage homonyme, Okja mérite amplement d’être rencontré.

Camille Muller

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