– Gilles Bourdos ; 2017 –
Réalisation au titre intriguant, Espèces menacées se révèle rapidement être un long-métrage puissant sur les questions centrales des relations familiales et de la condition des femmes. Gilles Bourdos signe un film riche, qui oscille entre des scènes profondément douloureuses, et d’autres bien plus légères, offrant à l’ensemble une teinte particulière. Fort d’une structure chorale habilement mise en scène, Espèces menacées tisse une toile de portraits touchants, parfois drôles, toujours vrais.
Le titre même de la nouvelle réalisation de Gilles Bourdos semble inviter le spectateur à s’interroger sur les questions et relations intergénérationnelles. Le terme « espèces » est en ce sens pleinement significatif, proposant de fait une classification fondée sur le critère de l’âge. On relèvera néanmoins le lexique de la menace qui, déjà, invite le spectateur à considérer l’aspect dramatique, si ce n’est tragique, de l’œuvre. En outre, Espèces menacées met en scène et lie plusieurs destins familiaux menacés, dans un habile ballet qui oscille entre comédie et tragédie pure.
Figure centrale de la réalisation, Alice Isaaz brille véritablement dans le rôle de Joséphine. Accompagnant le spectateur de la légèreté au drame à l’occasion d’une scène d’introduction au rythme maîtrisé, la jeune actrice offre une prestation poignante dans ce rôle de jeune femme battue et perdue du point de vue familial. Leitmotiv du long-métrage, le destin tragique de Joséphine permet à lui seul de mettre en relief les conflits intergénérationnels, mais aussi l’importance du rôle parental, et plus généralement du cercle familial. La figure du père est en ce sens remise en question, et Grégory Gadebois sublime, lui aussi, la quête de paternité d’un personnage qui glisse lentement dans la folie.
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La détresse de Joséphine permet par ailleurs d’interroger les relations conjugales et de mettre en lumière la condition de femmes qui s’enlisent dans des relations toxiques. Si Gilles Bourdos met en perspective la responsabilité des parents, il démontre par ailleurs l’impuissance non seulement de ces derniers, mais aussi celle de toute une génération qui ne parvient pas à venir en aide à la jeune femme. Ce sentiment d’impuissance conduit dès lors à un final quelque peu grandiloquent qui détonne par rapport à la justesse de l’ensemble mais qui permet néanmoins d’inscrire dans le film un crescendo dramatique saisissant.
La situation dramatique de Joséphine est, d’autre part, mise en relief par l’inscription en filigrane d’une véritable esthétique de la dissonance tout au long de la réalisation. S’appuyant sur un humour efficace et un ton léger, Gilles Bourdos se joue des émotions du spectateur et offre des portraits touchants qui se mêlent les uns aux autres avec brio, portés à l’écran par une galerie d’acteurs riche et nuancée, de Damien Chapelle à Eric Elmosnino. Tous apportent une vision poignante des relations humaines, mais aussi des réflexions qui leur sont propres, du renversement générationnel pour ce fils sentimentalement et professionnellement perdu qui doit aider sa mère, à la question de la liberté des enfants pour ce père qui voit sa fille se marier à un homme plus âgé. Ces destins entremêlés offrent une tonalité plus légère à une réalisation hétéroclite, qui permet au spectateur de souffler, sans pour autant l’éloigner de la problématique initiale, celle-ci faisant office de liant entre les différents protagonistes.
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Espèces menacées est également sublimé par l’esthétique qu’y déploie Gilles Bourdos. La colorimétrie très chaude des premiers instants s’efface progressivement pour nous plonger dans une réalisation plus froide, signifiant par là-même l’âpreté des thématiques développées. On relèvera également des plans sublimes, qu’il s’agisse du ballet des palmiers ou du pare-brise sous la pluie battante. Le sens esthétique de Gilles Bourdos permet, enfin, d’installer des motifs éloquents, comme celui de la route, éminemment signifiant si l’on considère le cheminement tragique des personnages.
En définitive, Espèces menacées brille en raison det sa structure narrative chorale et offre un portrait nuancé des relations familiales et intergénérationnelles. Loin de s’engouffrer dans un pathétique moribond, l’œuvre de Gilles Bourdos se révèle très colorée et parvient dès lors à mettre pleinement en lumière les motifs les plus âpres. La réalisation porte ainsi à l’écran de beaux moments de vie au sein de fortunes diverses et toutes poignantes, nous offrant par là-même un moment de cinéma aussi stimulant émotionnellement qu’intellectuellement.
Vincent Bornert
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