Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, personne ne peut nier la place centrale que Catherine Deneuve occupe dans le cinéma français d’hier comme d’aujourd’hui. À l’occasion de la sortie du film Tout nous sépare dans lequel on la retrouve aux côtés de Nekfeu et Diane Kruger, Scotchés décide de revenir sur certains des films qui ont marqué la carrière de cette icône. Une femme qui a croisé le chemin d’un nombre impressionnant de metteurs en scène : Truffaut, Buñuel, Desplechin, Varda, Melville, Téchiné, tous auréolés d’un renom exceptionnel. Il serait pourtant réducteur de ne voir la gloire de l’interprète que comme associée à d’autres talents, elle qui a, en raison de ses choix artistiques et du personnage public qu’elle a su composer – nature d’actrice oblige -, réussi à devenir une des personnalités les plus marquantes de la culture contemporaine. Une femme qui s’est imposée dans le paysage politique et médiatique et qui a composé des rôles exceptionnels, dotés d’un caractère bien trempé, allégories d’une femme indépendante et libre qui peine aujourd’hui encore à être pleinement reconnue. Catherine Deneuve a œuvré à cette émancipation genrée, aussi bien dans le monde du cinéma et de ses représentations que dans la société ; grâce à un travail qui s’étend désormais sur plus de soixante années. Un combat qui n’en demeure pas moins jalonné de paradoxes sur lesquels nous reviendrons dans ce dossier … Voyons donc de plus près comment s’est forgée cette légende, depuis ses premiers gros succès des années 60 avec Jacques Demy jusqu’à la sortie de la semaine. Fans invétérés de l’actrice ou novices en la matière, embarquez avec nous pour ce portrait détaillé de l’une des plus grandes dames du cinéma français ! 3, 2, 1… action.

  • Catherine Deneuve, la muse

Abonnée présente chez les plus grands réalisateurs des six dernières décennies, Catherine Deneuve a fondé sa légitimité sur la récurrence de ses apparitions dans les films d’un grand nombre de réalisateurs. Luis Buñuel, François Truffaut, Jacques Demy l’ont sollicitée à plusieurs reprises et lui ont ainsi permis d’avoir une visibilité constante dans un cinéma français qui s’exporte à l’international dès le début de sa carrière avec les Demoiselles de Rochefort, qui sort au Royaume-Uni dès 1967, quelques mois après sa première française. Sans le vouloir, elle se rend indispensable pour les réalisateurs et c’est ce qu’exprime Richard Wargnier, réalisateur d’Indochine (film oscarisé en 1993), en déclarant à Paris Match « J’ai l’impression que les rôles que je propose à Catherine (…) sont des rôles qu’elle seule peut porter » (1992). D’ailleurs, on imagine difficilement quelqu’un d’autre irradier autant qu’elle dans la scène du « cake d’amour » de Peau d’Âne ! En occupant une place de choix dans la filmographie de réalisateurs ayant marqué l’histoire mondiale du cinéma, elle fait partie elle aussi de cette histoire du septième art et les nombreux prix décernés « pour l’ensemble de sa carrière » (1999 au Caire, 2006 à Bangkok, 2011 à Montréal, 2016 à Lyon) sont la preuve de la monumentalité et de l’internationalisation de son parcours.

Pour autant, Catherine Deneuve est loin de ne devoir son succès qu’à des réalisateurs connus. Avec beaucoup d’intelligence et de recul, elle a su choisir des rôles adaptés ainsi que des collaborateurs de confiance. Elle déclare en 1987 avoir refusé un rôle avec Polanski car «  il me proposait « Naïves Hirondelles », la pièce merveilleuse de Roland Dubillard. Mais il s’agissait d’un rôle d’idiote. ». Ces mêmes qualités l’engagent à faire, à plusieurs reprises, le pari de l’audace en misant sur des films à l’esthétique nouvelle ou au sens politique fort. Le parti pris esthétique « pop » de Peau d’Âne est à double-tranchants puisque le film fait, au moment de sa sortie, l’objet de bien moins de reconnaissance populaire que Les Demoiselles de Rochefort ou Les Parapluies de Cherbourg, bien qu’il soit salué par la critique journalistique. Plus audacieux encore, les choix que fait Catherine Deneuve en adoptant ses rôles sont bien souvent politiques. En acceptant de jouer le rôle de Marion dans Le Dernier Métro de Truffaut, elle loue le combat de la culture contre le barbarisme nazi en même temps qu’elle montre une « femme de pouvoir », responsable, digne et tenant son théâtre et sa troupe avec brio. Lorsqu’elle prête sa voix pour le film d’animation Persepolis[1], elle fait encore un acte politique puisque ce long-métrage témoigne des conséquences de la révolution islamique en Iran. Enfin, c’est avec délice qu’on regarde Catherine en Suzanne Pujol dans Potiche, où elle incarne la lutte féministe à elle seule et règle ses comptes à son mari macho et infidèle.

Indochine

  • Des rôles dont on retient la force de caractère

Actrice phare de la filmographie de certains des plus grands noms du cinéma mondial, Catherine Deneuve force le respect tout aussi bien au regard de sa carrière que des rôles qu’elle choisit d’interpréter. De ce point de vue, il est intéressant d’analyser les femmes auxquelles l’actrice donne vie et d’en dégager des caractéristiques communes. La grâce, l’élégance et la beauté naturelle de l’actrice, particulièrement mises en avant dans les œuvres de Demy mais également dans Belle de Jour de Buñuel font partie de l’identité de chacun des personnages qu’incarne l’actrice – et ce n’est pas les traces de suie couvrant partiellement le visage de Peau d’Âne qui nous feront changer d’avis sur la question. Mais au-delà de ces critères physiques et éphémères, c’est l’autorité et la fermeté de l’actrice qui reviennent sans cesse à l’écran à travers des rôles de femmes affirmées qui forcent le respect. Ainsi, dans Indochine, Eliane mène d’une main de maître la plantation de son père désormais sienne, refusant de plier l’échine devant les codes machistes régissant cette société coloniale du XXème siècle. C’est bien l’indépendance d’Eliane qui intrigue les hommes qui l’entourent et séduira Baptiste, amant passionné et totalement ensorcelé par cette femme d’exception. Une séductrice qui, malgré sa difficulté à ne pas s’attacher au jeune officier, n’en demeure pas moins guidée par un désir irrépressible de liberté que l’on retrouve dans bien d’autres rôles de Catherine Deneuve. De la même manière, c’est bel et bien l’indépendance qui représente l’une des qualités premières de Delphine dans Les Demoiselles de Rochefort, elle qui veut à tout prix poursuivre à la fois sa quête professionnelle et personnelle en tentant sa chance dans la capitale. « Je monte à Paris » claironne Delphine avec confiance, allant jusqu’à laisser sa sœur « sur le carreau »  – en bonne compagnie rassurez-vous – pour accomplir ses rêves.

Les Demoiselles de Rochefort

C’est donc bien la force de caractère qui transparaît dans les différents rôles de Catherine Deneuve, qu’il s’agisse des pulsions manipulatrices de Gaby dans 8 Femmes de François Ozon, ou bien de l’autorité naturelle de Marion dans Le Dernier Métro de Truffaut. Une autorité qui se traduit toute entière dans le jeu de l’actrice qui s’impose dans chacune des séquences auxquelles elle prend part, captivant l’intérêt du spectateur en raison de la fermeté de sa voix et d’une expression souvent impassible, voire insondable. Lorsque Deneuve s’exprime, son débit est contrôlé, constant, maîtrisé. Nulle fausse note, dans la paix comme dans le tourment, qu’il s’agisse de ses sautes d’humeur dans Un Conte de Noël ou ses phases de révolte dans Belle de Jour. Cette maîtrise passe tout autant dans la voix que dans le regard et l’expression, l’interprète faisant preuve d’un talent indéniable et d’un naturel désarmant, affirmant son autorité du simple fait de sa présence à l’écran. Le regard, dans lequel passe une grande partie des émotions de ses personnages, se fait tour à tour bouclier ou miroir de l’âme de ces femmes qui ont assis la légitimité de leur interprète dans le septième art. Une actrice dont la carrière a été récompensée par de nombreux prix – dont deux César de la Meilleure Actrice pour Le Dernier Métro et Indochine – et qui représente aujourd’hui encore une figure de référence en termes d’actorat et d’expérience. Une expérience qui fait d’elle un incontournable du cinéma français, elle qui perdure malgré le passage du temps et que l’on a pu voir dans le récent Bonne Pomme, Sage Femme et prochainement dans Tout nous sépare.

Cette légitimité publique que possède aujourd’hui Deneuve s’est construite au fil de ses rôles, lui permettant d’acquérir une notoriété qui dépasse largement le milieu de la création filmique.
Une filmographie vaste et globalement cohérente qui retranscrit le goût de la Française pour les femmes de caractère, qui n’en demeurent pas moins douées d’une grande sensibilité. Rappelons-nous à ce propos le personnage de Marion Steiner dans Le Dernier Métro. Mariée à un Juif, propriétaire d’un théâtre parisien, elle se trouve chargée de l’organisation de cette structure durant la Seconde guerre mondiale. Alors qu’elle monte une nouvelle pièce avec sa troupe, la comédienne tombe progressivement amoureuse de Bernard, interprété par le jeune Gérard Depardieu. Une attirance qu’elle tentera à tout prix de cacher sous le masque de la froideur et de l’innocence, désirant rester fidèle à un mari à qui elle voue un amour sincère. C’est avec une extrême pudeur que la jeune femme se laissera peu à peu gagner par son attirance irrépressible pour Bernard, acceptant enfin un baiser de la part de son amant sur le départ, empaquetant ses affaires dans sa loge. Une fois ce baiser échangé, Marion se détourne et s’affaire, comme si de rien n’était. Après un instant d’abandon fébrile et passionné, la jeune femme recompose son masque, humble et protecteur, ne laissant poindre que rarement cette sensibilité si bouleversante dont elle a le secret.

Le Dernier Métro

  • Pudeur et humilité

               Un secret bien gardé par l’interprète, elle qui incarne constamment des rôles de femme indépendante et forte dont ressort bien souvent une impression de maîtrise, voire de froideur. Une impassibilité qui protège ces personnages complexes, caractérisés par une sensibilité incontestable. Ainsi, dans Le Dernier Métro, Marion paraît autoritaire, s’adressant constamment avec fermeté à son entourage, elle que l’on traite souvent de « sans cœur ». L’héroïne se métamorphose une fois le seuil de la cave passé, là où se trouve l’homme qu’elle aime, son mari juif dissimulé aux yeux de l’occupant nazi. Sous les yeux du metteur en scène, cette femme se dévoile et laisse tomber son armure, incapable de jouer devant lui. Elle laissera même transparaître involontairement l’amour naissant qu’elle porte à un autre, pourtant déterminée à préserver son mari de cette nouvelle idylle. Sa maladresse, ses absences – tant littérales que figurées – composent autant d’indices à qui sait les voir et ne tarderont pas à intriguer son mari. Un homme qui, au même titre que le spectateur, a acquis assez de connaissances sur Marion pour lire à travers elle et en apercevoir toute la sensibilité.

Une sensibilité qui se manifeste sous la forme de petits gestes, prémédités ou non, qui traduisent toute l’affection que portent certains des personnages de Deneuve à leur entourage. Des regards, des signes imperceptibles représentent ainsi l’immense amour que porte Marion à son époux Lucas dans Le Dernier Métro ; tandis que les mots – remplaçant des gestes impossibles – retranscrivent le profond attachement que manifeste Séverine à Pierre dans Belle de Jour. Des manifestations timides et pudiques d’une femme fidèle qui n’offre que difficilement son cœur, à l’image de Junon dans Un Conte de Noël mais qui cache un amour inconditionnel sous son visage de marbre. Un amour qui sort bien souvent des sentiers battus et brise les idées reçues, comme le montrent les choix de Séverine dans l’œuvre magistrale de Bunuel. Des choix qui traduisent le désir d’indépendance et de liberté de l’héroïne, elle qui n’en voue pas moins une affection sans borne à celui en qui elle a confiance. Une femme qui n’hésite pas à avoir plusieurs amants (Le Dernier Métro, La Fille du RER) tout en gardant ses aventures privées. Une pudeur morale et physique que l’amante n’hésite toutefois pas à mettre de côté dans sa vie amoureuse, faisant montre d’une audace à la sensualité envoûtante, que ce soit dans Belle de Jour, Indochine ou encore Le Dernier Métro.

Belle de jour

  • Deneuve l’amante

Deneuve, c’est aussi une icône de sensualité, l’actrice incarnant des femmes libérées et assumées qui n’hésitent pas à suivre leur désir. Nous avons déjà mentionné les nombreux amants dont disposent certains rôles de l’interprète, d’Indochine à Belle de Jour en passant par La Fille du RER et Le Dernier Métro. Ainsi, les femmes incarnées par l’actrice peuvent vivre des passions peu conventionnelles, qu’il s’agisse de la multiplication de courtes idylles ou de véritables histoires d’amour ; ou bien encore l’accumulation de partenaires – plus ou moins désirés dans le film – dans le cadre particulier de Belle de Jour. Autant d’hommes qui portent sur Deneuve un regard fait d’admiration et de désir, eux qui se trouvent envoûtés tant par le caractère que par la beauté physique de cette femme. Des personnages désirables et désirés à l’élégance et au panache immortels, à l’image de Peau d’Âne sous le regard de Demy ou bien Marion dans Le Dernier Métro, habillée par le grand Jean-Paul Gaultier. Un style et une classe que l’on retrouve par ailleurs dans Belle de jour où l’interprète suscite l’envie de ses pairs, elle dont on retiendra le bon goût minimaliste et distingué. Une apparence soignée qui n’en cache pas moins une amante passionnée qui assume sa sensualité et ses désirs, à l’image de son rôle de conquérante et de séductrice dans Indochine. Une femme dont le corps suscite l’admiration, tout autant de la part des femmes que des hommes ; et qui est filmé avec sensualité par la caméra des réalisateurs. Dans Les Demoiselles de Rochefort, Deneuve incarne une danseuse chevronnée, redoublant de beauté dans des costumes hauts en couleurs. Un rêve et un métier – professeure de danse – qui s’appuie sur la maîtrise du corps, corps en tant qu’instrument de travail et source du Beau, mis en mouvement dans le cadre d’une représentation. Un rapport au corps également développé par les cinéastes ayant mis en scène Catherine Deneuve, eux qui subliment la beauté de l’actrice au long de leurs séquences partagées. Des séquences qui ont pu s’attarder sur le corps de l’interprète, soulignant notamment ses jambes élancées et sensuelles sur laquelle avance – timide et ambitieuse – la main d’un homme conquis. Que ce soit dans Le Dernier Métro ou dans Indochine, la caméra embrasse elle aussi les courbes de l’actrice pour signifier avec pudeur, et à travers une caresse, l’acte sexuel en devenir.

Le Dernier Métro

Autant de rôles qui composent en quelque sorte un modèle féminin en puissance, capable de se faire entendre, assumant ses envies avec force et conviction peu importe son interlocuteur. Un être non moins doté de sensibilité et d’intelligence, à l’image de toutes les héroïnes incarnées par Deneuve – ou du moins de tous les choix de l’actrice en termes de personnages – et traités dans ce dossier. Des modèles donc, œuvrant à la reconnaissance de la femme en tant qu’individu indépendant et affirmé, placé sur un plan d’égalité avec ses semblables masculins, comme nous l’ont prouvé des films tels qu’Indochine, Un conte de Noël ou encore Les Demoiselles, avec la futée et déterminée Delphine. Autant de femmes qui ont su faire entendre leur voix en dépit des conventions et des préjugés et qui ont, à n’en pas douter, contribué à la reconnaissance des femmes tant dans le monde cinématographique que sociétal. Des rôles de caractère qui ont marqué les esprits, doués de motivations et d’une force hors-du-commun. Autant d’inspirations pour les femmes d’aujourd’hui qui peuvent ainsi trouver en Deneuve un appui de taille face à toute discrimination genrée. Chapeau Madame, et merci !

  • Une maîtrise non dénuée de drôlerie

Si elle a souvent revêtu des rôles politiques et que sa distinction lui vaut une stature certaine, Catherine Deneuve sait aussi se prêter à l’exercice de la comédie, comme dans Potiche. Suzanne Pujol n’hésite pas à esquisser une chorégraphie ridicule aux côtés de son mari (l’éternel Depardieu) ou à coller au plus près du cliché de la femme au foyer désespérante (et désespérée ?) chantonnant, en survêtement et alors qu’elle vide le lave-vaisselle « Fais-moi la cour comme aux premiers instants, comme cette nuit où tu as pris mes dix-sept ans »[2] . Tout à l’inverse, dans Palais Royal son attitude altière – portée avec beaucoup de naturel – lui permet d’exercer un mépris aussi comique que plaisant. En investissant totalement le cliché de l’aristo, elle se moque des petites gens comme sa belle-fille (Valérie Lemercier) dont elle souligne sans cesse l’inadaptation au statut de reine. Au-delà de ses films, elle fait preuve d’humour lorsqu’elle se prête au jeu de la mini-série d’Arte de Loïc Prigent consacrée aux phrases entendues dans le monde de la mode. Pourtant habituée des tapis rouges (de Cannes à la Fashion Week), elle prend de la distance par rapport à un milieu dont elle est très proche en soulignant l’absurdité de certaines phrases, comme « c’est tellement moche, on dirait une fringue de l’an prochain. »

Potiche

  • 1971-2017 : un féminisme en question

Étendard des valeurs de la République lorsqu’elle sert de modèle aux bustes de Marianne, défenseure des droits des agriculteurs, féministe affirmée à l’écran comme à la vie sont autant de Catherine Deneuve à la fois. Une interprète à la force de caractère indéniable qui ne craint pas les déboires médiatiques – malgré une vie privée sur laquelle elle conserve un certain mystère – farouche lorsqu’il s’agit de défendre ses opinions. Des opinions que l’on peut aujourd’hui qualifier de paradoxales, si ce n’est de changeantes, tant les propos de Deneuve quant au combat féministe ont évolué au fil des décennies. Retour donc, sur cet engagement qui fait encore et toujours couler l’encre…

Cet engagement féministe à l’écran est à mettre en miroir de son engagement, très médiatisé, dans la vie publique. Dès 1971, elle signe le « Manifeste des 343 salopes », une pétition qui soutient le droit à l’avortement, porté par feue Simone Veil à l’assemblée nationale. Une femme qui a grandement inspirée Deneuve et pour laquelle l’actrice a voué une grande admiration. La détermination de Simone Veil face à une opposition masculine et sa capacité à « tenir bon » ont ainsi grandement marqué l’interprète. Cette lutte pour le droit et la reconnaissance des femmes est un jalon important de l’œuvre publique effectuée par Deneuve. Une carrière toutefois ponctuée de paradoxes qui ne peuvent être ignorés. Ainsi, l’actrice s’engage en 2004 contre les violences faites aux femmes, au côté de l’organisation Amnesty International. En 2007, sans donner directement son avis politique, elle dénonce le sexisme dont est victime Ségolène Royal alors candidate à la présidentielle. Des prises de position qui rejoignent les nombreuses déclarations faites par Deneuve à la presse au fil des années, affirmant son amour des femmes ainsi que son militantisme inhérent à sa condition féminine, elle qui est « bien entendu » féministe. Des valeurs fortes que l’interprète a porté dans ses rôles, comme nous l’avons explicité auparavant, eux qui ont résolument marqué l’opinion, que ce soit celle des cinéphiles mais aussi du reste de la population française et mondiale. Mais son engagement n’est pas uniquement féministe. Il est tout simplement national lorsqu’en 1985 elle sert de modèle pour le buste de Marianne présent dans les mairies françaises. Il est aussi social lorsqu’elle dédie son prix Lumière « à tous les agriculteurs de France » et qu’elle loue le travail de Depardon sur la vie paysanne.

Mais alors, où se loge  le paradoxe ? Et bien, celui-ci se trouve dans plusieurs affaires ayant agité à la fois le monde de l’audiovisuel mais également toute les strates de nos sociétés contemporaines. Énième scandale dans une affaire encore et toujours polémique – que l’on essaye par ailleurs d’enterrer sous une bien-pensance largement contestable – Catherine Deneuve revendiquait à plusieurs reprises son soutien au réalisateur Polanski. Un metteur en scène accusé de viol sur une enfant de 13 ans depuis maintenant quarante ans, cas pour lequel il est toujours poursuivi par la justice américaine. Cette prise de position de l’actrice a ainsi été accompagnée de propos jugés de « déplacés » par le CSA, organisme « gendarme » de la télévision française en charge de sa moralité. « Tant pis pour moi, tant pis pour eux (NB : L’actrice parle ici « des gens ») » a clôt l’interview de Deneuve dans l’émission « Quotidien » mais non pas la polémique qui agite aujourd’hui encore l’opinion quant à ces propos intolérables. Vient s’ajouter à cela une nouvelle prise de position de l’actrice – à nouveau au micro de Yann Barthès pour la promotion de Tout nous sépare – concernant le hashtag « balance ton porc ». Interrogée à ce propos, Catherine Deneuve s’est ainsi grandement démarquée de son partenaire à l’écran Nekfeu, jugeant que cette dénonciation du harcèlement et des viols sur les réseaux sociaux s’apparente à un « raz-de-marée (…) qui ne correspond pas à la réalité ». Des propos qui, encore une fois, tranchent avec l’engagement féministe porté par la réalisatrice des années auparavant, elle qui se défie aujourd’hui d’un mouvement jugé trop extrême et « anti-hommes ». Affirmant toujours sa fierté d’être femme, l’actrice n’en suscite pas moins l’interrogation en raison de ces propos dont l’incohérence ne peut que frapper au vu de la majorité de ses choix de carrière passés ainsi que son engagement dans la vie politique et culturelle française.

  • « Alors, adieu. »

Femme de paradoxes et de convictions, à n’en pas douter, Catherine Deneuve fait bel et bien partie des personnalités les plus marquantes du cinéma français. Qu’elle soit délurée comme chez Demy ou solennelle comme chez Truffaut, qu’elle soit drôle ou bien rangée, à l’écran comme dans la vie publique, on espère que Catherine Deneuve continuera encore longtemps à partager son art. Le demi-siècle de cinéma qu’elle porte lui confère une légitimité qui en fait un monument de la culture française et dont la portée s’étend jusqu’à l’étranger. On est à présent curieux de savoir quelle casquette l’actrice va endosser dans Tout nous sépare, dont la bande annonce laisse suggérer qu’elle sera à la fois une femme forte et sérieuse, comme à sa belle habitude. Affaire à suivre, encore une fois sur Scotchés !

Camille Muller et Clément Dillenseger

[1] Film d’animation de Marjane Satrapi ayant une forte dimension autobiographique. Le film retrace l’exil de Marjane.

[2] Il s’agit de la chanson « Emmène-moi danser ce soir » de Michèle Torr.

 

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