John Maloof et Charlie Siskel ; 2014

Tout a commencé en 2007, alors que John Maloof s’adonnait à l’une de ses activités favorites : la vente aux enchères. Sa trouvaille du jour ? Une boîte remplie de négatifs appartenant à une photographe jusqu’alors anonyme, Vivian Maier. Une femme mystérieuse à la fois pour son entourage réduit, mais désormais aussi pour cet ancien agent immobilier transformé en enquêteur à la recherche de l’identité de cette inconnue désormais décédée. Accompagné du réalisateur Charlie Siskel, connu pour ses collaborations avec Michael Moore, John Maloof livre un film hommage en l’honneur de la défunte artiste dont l’œuvre photographique fait montre d’un talent considérable. Ou l’art de mêler deux disciplines de l’image dans un long-métrage combinant thriller et documentaire.

Captivé par l’aura présente dans les photographies de Vivian Maier, John Maloof se lance sur les traces de l’artiste, reconstituant peu à peu un pan entier de son existence en acquérant un nombre colossal d’effets personnels ayant appartenu à la défunte. Des bibelots, habits, documents qui lui permettent de deviner quelques traits de personnalité de la photographe – sa curiosité, son empressement, ses obsessions pour les faits divers et le morbide – et à côté desquels le réalisateur déniche des boîtes de négatifs non exploités. Un véritable trésor pour cet enquêteur qui devient ainsi propriétaire d’un travail matérialisé par plus de 100 000 clichés, acquisition aux potentiels artistique et financier conséquents. Un héritage que John Maloof questionne, remettant en question son droit de diffuser l’œuvre de la défunte, elle qui n’a jamais communiqué à son entourage le moindre de ses clichés et dont personne n’avait eu connaissance du désir de célébrité. Cette idée d’appropriation pose la problématique cruciale du droit d’auteur, aujourd’hui bien mise à mal par une ressource gigantesque nommée internet.

Vivian Maier

Malgré toutes ses recherches concernant Vivian Maier, il n’en demeure pas moins que la photographe conserve sa part de mystère. Elle qui a été accueillie par nombre de familles pour lesquelles elle a tenu le rôle de « nounou », est restée particulièrement secrète même à l’égard de personnes qu’elle côtoyait au quotidien. Des proches pas si intimes finalement, comme nous permettent de le constater les nombreuses interviews données par ces derniers aux deux réalisateurs. Il n’empêche que ces témoignages retracent l’itinéraire de l’artiste et dressent, un tant soit peu, son portrait tant physique que caractériel. Apparaissent ainsi de nombreuses parts d’ombres, révélées surtout par ceux qui furent chaperonnés par cette gardienne excentrique. Des témoins qui, au fil des entretiens, ont soulevé des pans peu enviables de la personnalité de la photographe, récits de vie qui offrent au documentaire un aspect impartial louable. En dépit de ces penchants destructeurs, Vivian Maier semble avoir marqué ses proches en raison de sa spontanéité, son excentricité et sa curiosité pour le monde et ses semblables. Une femme qui portait sur tout un chacun – inconnus ou fréquentations – un regard fait de perspicacité et d’affection et qui se retranscrit dans son travail photographique.

Ce qui marque dans À la recherche de Vivian Maier, c’est la concordance entre le temps de la narration, de la réalisation et celui instauré par l’artiste dans ses clichés. Pour cause, ce documentaire suit un rythme effréné, rythmé ou non par une musique entraînante, se servant tout autant des photographies de Maier que des témoignages de ses proches pour donner un tempo au montage. Cette animation permanente fait écho au travail de l’artiste et à son procédé créatif, fait d’escapades constantes à travers la ville en quête de sujets à immortaliser. De ses instantanés se dégage une impression de vie et de mouvement saisissants retranscrivant à merveilles les propos de Barthes quant à la photographie dans son essai La Chambre claire. Un art de l’immortalisation, figeant à jamais les sujets saisis, rendant par la même leurs spectres insensibles au passage du temps et au crépuscule de l’existence. Autant d’anonymes sur lesquels Vivian Maier a porté son regard, des « petites gens » – SDF, ouvriers, enfants – immortalisés par son objectif. Des personnes captées sur le vif, très souvent en contre-plongée, angle qui leur confère une aura indéniable. Ces portraits éclairent ainsi le quotidien de la ville de Chicago, jusque dans ses bas-fonds, faisant de Vivian Maier l’une des street-photographer les plus talentueuses du XXème siècle. Une artiste qui a su mettre en lumière le monde et les personnes l’entourant, qu’il s’agisse d’anonymes ou des enfants dont on lui a confié la garde. Un procédé qui a conféré grandeur et prestige à ces sujets et qui fait écho à celui opéré par Maloof et Siskel dans ce documentaire. Deux réalisateurs qui, grâce à ce travail d’investigation, ont éclairé une femme dont les seules représentations résidaient jusqu’alors dans de subtiles et mystérieux autoportraits.

Camille Muller

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