– Joachim Trier ; 2017 –
Après avoir passé une grande partie de sa vie dans la campagne danoise au côté de ses parents, Thelma découvre le monde universitaire et tous ses possibles. Irrémédiablement attirée par Anja, la jeune femme devra faire face à des désirs neufs et s’extirper à la fois de ses carcans familiaux et religieux. Déjà perturbé par de nombreux événements surnaturels, le quotidien de Thelma change radicalement suite à la disparition inexpliquée de sa meilleure amie.
C’est dans une salle bondée de l’UGC des Halles que nous retrouvons Joachim Trier, excité et angoissé à l’idée de projeter son film devant un public français. Nous connaissons le réalisateur pour Oslo, 31 août adapté du roman de Pierre Drieu La Rochelle Le Feu Follet ; mais aussi pour son récent Back Home mettant en scène la grande Isabelle Huppert. Avec Thelma, le cinéaste se tourne vers un genre jusqu’alors inexploré dans sa filmographie qu’est le fantastique, jouxtant également la frontière horrifique. Pour ce faire, il a distillé dans l’œuvre une atmosphère anxiogène dont la lourdeur ne cesse d’augmenter, usant habilement de la bande-son pour plonger le spectateur dans la psyché tourmentée de son héroïne. Notons sur ce point la séquence magistrale de l’opéra et le jeu auquel se prêtent décors, lumières et sons mais aussi l’utilisation envoûtante du titre « Moutaineers » de Susann Sundfor. Une héroïne donc, que l’on observe s’adapter à son nouvel environnement, se sociabiliser et apprendre à aimer, elle qui se libère progressivement d’une famille envahissante et d’une foi omniprésente. En suivant l’émancipation de cette jeune femme, l’œuvre s’offre comme un récit initiatique captivant et touchant, cette évolution se trouvant toutefois agitée par des éléments perturbateurs de plus en plus menaçants.
Avec Thelma, Joachim Trier exploite brillamment le genre fantastique, distillant les faits surnaturels dans le quotidien relativement austère de sa protagoniste. Secouée par des crises épileptiques – qui ne sont pas sans évoquer celles de Toni dans The Fits d’Anne Rose Holmer et leur valeur initiatique – la jeune femme semble également enclencher des événements rationnellement inexplicables qui prennent pied dans la réalité. Autant de faits qui placent public et héroïne dans un inconfort notable et qui jouent avec la frontière entre réel et merveilleux, brouillant le tableau en apparence idyllique tout d’abord offert avec cette histoire d’amour entre deux amies. C’est avec le séjour hospitalier de Thelma que l’oeuvre plonge résolument dans le fantastique, réutilisant des thèmes récurrents dans le cinéma d’horreur tels que les expérimentations scientifiques et la puissance du surnaturel. Poussée à bout dans le but de provoquer une nouvelle crise, Thelma libérera ainsi toute sa rage et ses pouvoirs, brisant par la même son portrait de jeune fille rangée et innocente. Dans cette scène paroxystique, l’héroïne apparaît sous son jour égoïste et destructeur et se trouve enfin confrontée à la réalité de ses dons surhumains. C’est à partir de ce drame que Thelma s’engage sur le chemin de l’acceptation de soi et se trouvera obligée de se confronter à son passé, l’oeuvre prenant désormais les traits d’une enquête familiale et identitaire.
Marqué par un rythme accéléré face au reste de l’intrigue, le dernier tiers de l’oeuvre fait montre d’une grande force en terme d’atmosphère et d’émotions, bien que l’exploration du passé familial de Thelma laisse quelque peu sur sa faim. Désormais confrontée directement à ses pouvoirs, l’héroïne se tourne vers les siens, retour au foyer immédiatement marqué par la violence. S’ouvre à nous un univers malsain déjà amorcé avec une séquence d’introduction résolument dérangeante qui posait d’emblée le thème du sacrifice et toute l’étrangeté de cette famille – une notion déjà abordée dans La Mise à mort de Yorgos Lanthimos. Perdu au milieu de la forêt, ce foyer réduit comportant père mère et fille tient en équilibre précaire grâce à la religion. Un catalyseur qui permet à la fois de tenir debout – face à la perte d’un enfant pour les parents, de la motricité pour la mère, et de la perte de l’être aimé pour Thelma – mais également de tenir ensemble devant tant de rancœurs et de peines enfouies. À nouveau, autorités religieuse et parentale se referment sur la jeune femme, la poussant dans des extrêmes qui libéreront tout son pouvoir destructeur. Se dressant résolument contre tout ce qui la composait autrefois, l’héroïne finit par se libérer dans un déploiement de violence cathartique.
C’est avec une métaphore (ratée) que Joachim Trier nous fait voir la transformation totale de son héroïne. Un personnage qui s’accepte enfin dans toute sa complexité et ses multiples désirs – que ces derniers soient nobles ou résolument malsains. Les derniers instants de l’oeuvre nous permettent d’appréhender le caractère ambivalent de la jeune femme qui, après s’être vengée de la violence de son géniteur, fera une offrande à sa mère qui lui voue pourtant une haine difficilement dissimulée. Désormais affranchie des entraves qui l’empêchaient d’être elle-même, Thelma représente un personnage ambivalent et très intéressant incarné avec brio par Eilie Harboe et que se plait à développer le cinéaste. Un réalisateur qui ne se laisse pas aller à un manichéisme facile, et qui, grâce à une séquence finale perturbante, nous quitte sur un pied de nez jubilatoire quant aux notions de bien et de mal édictées par la religion. Un final dérangeant qui interroge et marque les esprits, questionnant à la fois la personnalité de Thelma mais également la vérité au fondement de son histoire d’amour. Comme l’interrogeait pertinemment son père avant nous…
Camille Muller
Comments by Camille Muller
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Très bon commentaire que je (Camille Muller) ne peut ...
« Un bon gros Totoro et au dodo »
Merci à vous pour votre soutien ;)
Les filles d’avril de Michel Franco : combat de mères
Merci beaucoup pour ce commentaire, ça fait chaud au coeur ...
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Merci pour ce beau commentaire Rémy, on ne peut ...
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Merci Jeanne, petite coquille sur ce coup :)