– Rian Johnson ; 2017 –
Depuis qu’elle a été réveillée par J.J. Abrams et Disney en 2015, la Force ne cesse d’osciller entre la lumière et l’ombre, laissant le spectateur dans une position inconfortable de fan alléché mais jamais rassasié. Après un premier épisode en demi-teinte et un spin-off plutôt bien accueilli, c’est au tour de Rian Johnson d’apporter sa contribution à l’univers étendu Star Wars et de faire vibrer, une nouvelle fois, la corde nostalgique de toute une génération de cinéphiles.
On peine toutefois à entrer véritablement dans ce nouvel épisode tant il nous ramène inlassablement vers les écueils de la prélogie en termes de montage et de rythme. À l’image d’un vaisseau de la Rébellion qui se traîne pathétiquement pendant près des deux tiers de la réalisation, Les Derniers Jedi est constamment en manque de souffle lorsqu’il navigue entre ses protagonistes. Les enjeux peinent à convaincre et l’on ressent rarement le sentiment d’urgence qu’avait réussi à insuffler Rogue One, tant tout est, dans la première partie du moins, lent et fade. Le montage, lorsqu’il ne frôle pas le ridicule dans des scènes alternées, demeure d’un classicisme sans inspiration qui nous ferait presque regretter la récurrence des fondus au noir des premiers instants.
Rian Johnson se révèle par ailleurs relativement avare pour ce qui est de faire voyager son spectateur, qui devra s’armer de patience et de détermination avant de découvrir de nouveaux environnements foisonnants et à l’identité forte ; une fois la surprise des porgs évacuée, il ne reste plus grand chose devant quoi s’extasier avant un long moment. On ne pourra que regretter l’attente poussive tant les univers présentés par la suite nous rappellent à la magie des premiers épisodes, Les Derniers Jedi nous offrant deux planètes particulièrement riches sur lesquelles nous aurions aimer nous attarder davantage. C’est à ce propos dans le dernier tiers de la réalisation que Rian Johnson affirme, enfin, sa maestria esthétique, en époussetant le manteau blanc du bastion rebelle pour révéler un pourpre envoûtant, introduisant ici un ballet de couleurs particulièrement éblouissant.
Walt Disney
De fait, Les Derniers Jedi est marqué par un certain mimétisme entre sa propre construction et sa place dans la saga de George Lucas. Là où le long-métrage s’inscrit comme une œuvre charnière entre les premiers épisodes et l’amorce d’une nouvelle saga dont on peut supposer enfin une identité propre, Rian Johnson attend quant à lui sans doute trop longtemps pour ébaucher un moment charnière venu sublimer la réalisation alors que celle-ci ne fait que graviter, jusqu’ici, autour d’interrogations et de réponses elliptiques ; la résurgence du spectaculaire permet alors d’engager un nouveau mouvement dans lequel nous retrouvons la poésie des premiers épisodes et leur souffle politique. On saluera ici l’ambition du cinéaste de replacer au cœur de la narration des enjeux sociaux qui manquaient cruellement au Réveil de la Force, en témoigne la mise en lumière d’industriels opulents. C’est ici toute la littérature d’Aragon qui nous vient à l’esprit, alors que la Rébellion gagne fortement en consistance politique. Notons, au passage, la place des femmes dans ce nouveau récit, plus nombreuses que jamais et dont le traitement ouvre de belles perspectives pour la suite de la saga.
C’est toutefois dans son ambition d’inscrire sa réalisation dans une dialectique en hommage et héritage que Rian Johnson parvient réellement à sublimer Les Derniers Jedi. En effet, on ressent dans les derniers instants du long-métrage une réelle envie de s’affranchir du récit des Skywalker, en les faisant basculer au rang de mythes pour amorcer un nouveau mouvement, celui d’une Rébellion au visage renouvelé. Les longs développements sur les fondements de la saga, et particulièrement sur les origines de la Force, permettent alors d’appuyer ce sentiment de clôture de chapitre, au profit d’une ouverture vers un lendemain cinématographique autre, laissant enfin le passé jouir de sa postérité.
Walt Disney
En définitive, si l’on regrette amèrement sa première partie bien trop fade, Les Derniers Jedi finit par se révéler convaincant tant dans les motifs qu’il déploie que dans l’esthétique de sa mise en scène. Œuvre madeleine et œuvre charnière, la réalisation de Rian Johnson offre un bel hommage à ce qui l’a précédée, tout en ouvrant de nouveaux horizons. Si l’on reste quelque peu sur notre faim, on ne saurait occulter la réussite des derniers instants de ce Star Wars qui se déprend enfin d’un classicisme poussif en multipliant les contre-pieds intelligents, bien que ce soit, une nouvelle fois, à l’opus suivant qu’incombe la tâche de nous témoigner de la légitimité de cet univers étendu.
Vincent Bornert
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