-Sean S. Baker ; 2017-

En Floride, à la lisière de Disneyland, vit Moonee, une fillette de 6 ans. Elle et sa mère Halley sont installées dans une minuscule chambre du chatoyant motel Magic Castle, qui ne doit son apparence haute en couleurs et son nom enchanteur qu’à son ancienne fonction de dortoir pour touriste. L’enfant est amie avec les autres gamins de familles précaires mis au rebut, et elle forme avec Scooty, Dickey et la nouvelle arrivante Jancey une tribu hurlante et furibarde, un ouragan qui va de bêtises en bêtises, menant la vie dure au manager du motel Bobby, tandis qu’Halley, jeune mère au caractère non moins enlevé, va de combine en combine pour trouver de l’argent et payer le loyer chaque semaine.

Voilà, c’est à peu près tout ce qu’il se passe pendant ce film à la trame narrative minime, dont le vrai incident perturbateur arrivera en toute fin d’œuvre. On ne vous le révèle pas, cependant histoire d’expédier rapidement ce qui cloche dans The Florida Project, il faut évoquer le dernier plan (qui est aussi une séquence) du film. Vous inquiétez pas, no spoil. Tourné à l’iPhone et seul moment musical du long-métrage, ce plan est la seule faute de goût du film : sur-signifiant, brutalement en rupture de ton avec le climax émotionnel du long-métrage présenté juste avant, et surtout plastiquement vraiment moche, c’est le seul vrai défaut du film. Ca et quelques instants d’acting un peu boiteux au détour de certaines répliques, mais on est déjà dans le pinaillage.

Pour ce qui est du reste The Florida Project est un parfait sans faute, pour peu qu’on s’intéresse à l’enfance et à un type de récit sans véritable moteur narratif principal. Et quand bien même, sachez avant toute chose que la photographie est absolument somptueuse. Filmé en pellicule et riche en couleurs, le film est (à quelques plans un peu mal pointés) un vrai régal pour les yeux. L’environnement bariolé du Magic Castle et la fluidité des mouvements de caméra épousent avec grâce et justesse l’énergie incroyable déployée par Moonee et ses amis. L’appareil n’est jamais intrusif, et pourtant Dieu sait qu’il y a un nombre impressionnant de micro-évènements à capturer autour de nos terreurs sur pattes, et dans le grand motel aux innombrables fenêtres. Chaque plan, chaque cadre est parfaitement minuté et composé et pourtant la sensation que Sean Baker n’a fait que poser sa caméra et filmer le monde de ces enfants incontrôlables sans y toucher est tenace. C’est probablement d’ailleurs le plus grand talent du réalisateur : réussir à styliser un environnement naturel sans en avoir l’air. Absolument rien n’a été fait en studio, et cela se sent : tout respire la liberté, les personnages et les mouvements d’appareil en tête. C’est d’ailleurs tout le sel du film : être aussi vitaliste alors que la situation sociale de tous les personnages est pour le moins précaire et que Halley s’enfonce dans la misère, sans pour autant verser dans une romantisation grotesque de la misère. Moonee ne doit en effet son innocence qu’aux frêles barrières qui la protègent, comme le manager Bobby et son intervention face à un papy pervers pour le dire pudiquement (un peu problématique, ce n’est pas la scène la plus réussie du film par ailleurs…).

Après, évidemment, la principale réussite du film tient évidemment en ses personnages, principaux surtout mais secondaires également. Terriblement drôles et surtout très attachants, les enfants Moonee, Jancey, Dickey et Scooty sont indéniablement le cœur battant du film, et prennent le pouvoir à leur manière sur un monde rempli de turpitudes. Forts de ce pouvoir, ils brûlent littéralement ce que les adultes n’arrivent pas à détruire au détour d’une exploration de maison abandonnée et répandent une joyeuse destruction crépusculaire autour d’eux, comme s’ils étaient un feu eschatologique positif. Cela, ils le doivent à ce que les enfants ont de plus précieux à conserver mais qu’ils finiront par perdre, comme nous tous et comme le montre la terrible fin du film : ils ont encore un regard enchanté sur le monde, et s’ils ne font que percevoir la misère grâce à ce filtre, ils ne tarderont pas à la conscientiser et à devenir adultes. Il ne reste plus qu’à courir, faire la course contre un monde qui se transforme et tenter de garder en soi son innocence comme on tente de retenir l’eau avec ses mains, celle qui fait que le monde, c’est encore les murs roses du Magic Castle et les façades jaunes de Futureland, et pas encore les putes, les flics, les pédophiles dans un motel dégueulasse à la lisière de Disneyland.

Lino Cassinat

5/5 (1)

Et si vous nous donniez votre avis ?