Invités dans le cadre du cycle « Le Monde est Stone » organisé par le Forum des Images en l’honneur et avec la collaboration du réalisateur Oliver Stone, les rédacteurs cinéma de Scotchés reviennent sur certains des plus grands classiques du cinéma américain.
Aujourd’hui, retour sur Conversation secrète de Francis Ford Coppola, œuvre majeure et pourtant peu connue dans la filmographie du cinéaste, sortie en plein scandale du Watergate.

Véritable référence dans le milieu de la filature, Harry Caul (Gene Hackman, magistral), catholique rigoureux et homme secret, s’attelle à la nouvelle mission que lui a confié un client privé. Dans une séquence introductive hypnotisante construite sur un long zoom en plongée resserrant et piégeant progressivement un couple mis sur écoute dans son cadre, Francis Ford Coppola nous introduit immédiatement au quotidien de son héros, divisé entre un travail effectué quasi religieusement ; et un temps privé morne et solitaire. D’emblée, la bande-son impose sa maestria, elle qui est composée d’un mixage de conversations, de captations radio et d’interférences qui viennent perturber l’attention du spectateur, et place la surveillance au cœur du propos du film. Pour parachever cette création sonore, la contribution de David Shire est à saluer, le musicien ayant créé une œuvre lancinante qui nourrit le climat inquiétant de Conversation secrète et préfigure le désastre à venir.

En apparence donc, rien de nouveau sous le soleil pour Harry, lui que l’on connaît dans le milieu pour son expertise et son professionnalisme, collègue taciturne dont a bien du mal à s’accommoder son apprenti Stan (impeccable John Cazale) plus intéressé par le contenu des conversations qu’il écoute que sur le but de sa mission. Toutefois, la mise sur écoute de ce couple en apparences ordinaire va s’introduire insidieusement dans le quotidien de Harry, jusqu’à devenir une véritable obsession. Persuadé que la jeune femme adultère, mise sur écoute par son patron et mari, est menacée de mort, Caul n’aura de cesse de vouloir protéger ces enregistrements contre leur commanditaire, espérant ainsi sauver la vie de ce couple caché. Sa foi catholique, rongée par la culpabilité suite au dérapage d’une mission effectuée des années plus tôt, est notamment mise à rude épreuve tout au long de l’œuvre, confrontée à un monde viciée par la cupidité et la violence. Craignant de participer à nouveau involontairement à un crime, le professionnel s’implique corps et âme dans cette mission jusqu’à en perdre totalement ses croyances, tant en l’Homme qu’en une entité supérieure.

Se jouant des apparences, Francis Ford Coppola place son spectateur dans un thriller perturbant qui nous confronte sans cesse à la frontière ténue séparant réel et imagination. Plongeant son personnage dans des hallucinations et cauchemars lancinants, le metteur en scène manipule nos croyances et l’idée préconçue que l’on se fait du Bien et du Mal, faisant des victimes des bourreaux et inversement. Il renforce par la même l’idée d’une société corrompue, poussée par la violence et la cupidité, minant définitivement les certitudes de son héros mélancolique. La séquence du meurtre relève en cela du coup de maître, Coppola combinant montage coup de poing et travellings onduleux pour semer le doute dans l’esprit du spectateur, jusqu’à la découverte effrayante d’un indice qui plonge l’œuvre dans le registre horrifique et finit d’enterrer le peu de foi qu’il nous restait en l’humanité… Car c’est bien la perversité et la froideur de nos concitoyens auxquelles nous confronte Conversation secrète, au côté d’un héros ayant perdu tout repère et dont la quiétude d’un foyer jusqu’alors savamment protégé est violée.

Triste ironie que de voir l’appartement de ce ponte de la filature infiltré par un mouchard, conduisant cet homme au désœuvrement le plus total. En plein scandale du Watergate, cette œuvre ne cesse d’évoquer le pouvoir grandissant d’un système de surveillance en progrès perpétuel, capable de faire tomber même les plus grands. Ainsi, le récit d’un professionnel concernant la chute d’un candidat à la présidence d’un parti suite à sa mise sur écoute, souligne l’influence de plus en plus importante des services de surveillance sur toutes les sphères de la société. Capables de faire et défaire des carrières, à l’image de J.J. Hunsecker dans Le Grand chantage, ces agents de filature, neutres exécutants des tâches qu’on leur a confié, mettent en lumière la perte progressive des libertés individuelles au profit d’une société mise sous surveillance permanente. Une captivité insidieuse mais bien réelle personnifiée par Harry Caul, héros tragique dont la mélancolie et l’innocence ruinée nous hanteront longtemps.

Camille Muller

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