– Steven Spielberg ; 2017 –
Il y a deux ans, Spotlight de Tom McCarthy apportait une certaine fraîcheur au film d’investigation : récompensé de l’Oscar du meilleur long métrage, le film revenait alors sur le scandale autour de l’Église catholique dévoilé par le Boston Globe, à qui l’on attribua alors le prix Pullitzer. C’est désormais au tour de Steven Spielberg d’adapter une incroyable histoire vraie ; celle des Pentagon Papers. D’une certaine manière, ce film s’impose comme un préquel spirituel aux Hommes du Président d’Alan J. Pakula, puisqu’il relate l’une des longues affaires qui a mené le Président Nixon à sa perte. Qu’est-ce que les Pentagon Papers ? Il s’agit de rapports classés secrets défense, dévoilés par un journaliste, qui confirment la responsabilité du gouvernement américain dans la catastrophe funeste qu’a été la Guerre du Vietnam. L’intrigue développée par Spielberg ? Le travail d’enquête haletant du Washington Post et le long dilemme qui a opposé Katharine Graham, la directrice du journal et son rédacteur en chef Benjamin Bradlee.
Pour camper ces deux ténors du journalisme américain, Steven Spielberg a fait appel à deux acteurs du même calibre : Meryl Streep (qui donna de la voix pour le réalisateur dans A.I. Intelligence Artificielle) et Tom Hanks, qui collabore pour la cinquième fois avec le cinéaste ! Ces deux monstres sacrés d’Hollywood sont réunis à l’écran pour la première fois de leur carrière, et quel face à face… S’il traite d’une histoire survenue dans les années soixante-dix, Pentagon Papers reste inévitablement très actuel, tant pour la question de la liberté de la presse que celle de la place des femmes dans la société. À 71 ans, Steven Spielberg n’a définitivement rien perdu de son sens du rythme : ayons une pensée pour lui, qui enchaînera la promotion de Pentagon Papers et Ready Player One, qui sortent avec quelques semaines d’écart à peine !
C’est du journalisme total !
Question films historiques, Steven Spielberg est rodé, à n’en pas douter. En témoignent ses nombreux points d’ancrage dans l’histoire américaine (ou de héros américains), qu’il s’agisse de son biopic Lincoln (à re-découvrir prochainement au Forum des images dans le cadre du cycle « Le monde est Stone »), d’Il faut sauver le soldat Ryan ou du plus récent Pont des Espions. Des films (évidemment) à plus petit budget que ses blockbusters, mais qui ne perdent en rien le talent de mise en scène du réalisateur. Dans Pentagon Papers, le spectateur est pleinement immergé au sein de la rédaction du Washington Post : de par la profondeur de champ, très marquée, qui illustre parfaitement l’immensité de la salle de rédaction, mais aussi le son strident des machines à écrire qui, mêlé à un montage des plus dynamiques, retranscrit le sentiment d’urgence dans lequel doit se transmettre l’information. Spielberg et son directeur de la photographie Janusz Kaminski (fidèle collaborateur depuis La Liste de Schindler) prennent un immense plaisir à donner vie à la presse par leur caméra, qui scrute l’impression d’un premier journal avec une extrême minutie. Le plan final du film, qui voit la caméra délaisser Tom Hanks et Meryl Streep, de dos, pour révéler les rouages de l’imprimerie du Washington Post, représente en tout point l’incroyable sens du détail du réalisateur.
L’urgence est par conséquent au cœur de l’intrigue de Pentagon Papers, qui couvre finalement une temporalité réduite. L’enjeu, pour Benjamin Bradlee et ses rédacteurs, est d’obtenir au plus vite ces documents secrets précédemment acquis par le New York Times, suspendu par le gouvernement Nixon à la suite de ses publications. Cette intense quête se poursuit pour le Post, au risque de subir la même sanction que son homologue, soit une injonction prononcée par la Cour fédérale interdisant toute publication. L’agitation de la salle de rédaction, l’épais nuage de fumée dégagé par les (très nombreuses) cigarettes consumées, la caméra de plus en plus tremblante face à l’incertitude grandissante des journalistes : la nervosité et la tension ressentis par ces journalistes irradient l’écran.
Power to the people
Au-delà d’un combat politique, Pentagon Papers est aussi un face-à-face moral entre deux personnalités qui ont tout à perdre : Katharine Graham et Benjamin Bradlee. Peut-être est-ce là que le film de Steven Spielberg dépasse celui de Tom McCarthy, puisqu’il s’attache davantage à ses protagonistes et à leurs conflits intérieurs. Sans basculer dans l’abondante leçon d’histoire, Pentagon Papers restitue aisément les tourments qui ont opposé les dirigeants de la rédaction. Tous deux ont vécu l’histoire des États-Unis, et côtoyés ses personnalités. D’un côté, Bradlee, dont la photo avec JFK et sa femme Jackie trône dans son salon ; de l’autre, Graham et ses rapports troubles avec Robert McNamara (brillamment interprété par Bruce Greenwood), le Secrétaire de la Défense directement impliqué dans ce scandale. Doivent-ils mettre en péril leur vie personnel au nom du Premier Amendement ? « La presse est le premier brouillon de l’histoire », martèle le film.
L’autre prise de pouvoir dévoilée par le film, c’est celle de ses personnages féminins. C’est la trajectoire tumultueuse de Katharine Graham, magistralement campée par Meryl Streep, à travers un monde essentiellement masculin. C’est sa prise de confiance progressive, alors que la caméra aurait tendance à l’éloigner lors de ces nombreuses réunions, voire même à l’effacer, alors que se poursuivent en hors-champ, ou hors de son regard, les on-dits, les critiques, les moqueries à son encontre. Ce sont aussi ces émouvants apartés familiaux, partagés avec sa fille interprétée par Alison Brie (que l’on prend plaisir à découvrir dans un rôle sérieux !). Parmi ces femmes figure même la fille du réalisateur, Sasha Spielberg, dont la courte apparition fait pourtant basculer l’enquête du Post, mais aussi – et surtout – Carrie Coon, la révélation de Gone Girl et The Leftovers, l’une des seules autres femmes de cette rédaction qui parvient à se faire une place. Sarah Paulson, enfin, temporise le personnage de Tom Hanks, dans un rôle incroyablement sobre : de quoi se reposer la voix après de multiples saisons de cris pour Ryan Murphy dans American Horror Story.
S’il souffre peut-être de quelques longueurs, Pentagon Papers parvient à dépasser l’aspect « américano-centré » de son sujet, beaucoup moins connu que le scandale du Watergate (à tort, puisqu’il a permis au Washington Post de dévoiler ce dernier par la suite). Et ce grâce à ses brillants interprètes, dont le talent n’est définitivement plus à prouver, mais aussi de par l’incroyable gestion du sentiment d’urgence. Il est après tout question de droits fondamentaux : la liberté de s’exprimer et d’informer, plus que jamais mise en péril aujourd’hui.
Gabin Fontaine
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